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Daniel BENSAID - Le parti dans l’histoire du mouvement ouvrier – Plans d’exposé et documents de référence

lundi 10 mai 2010, par Secrétariat jeune


Nous reproduisons ci-dessous les plans de trois exposés successifs (avec les documents cités en références) présentés par Daniel Bensaïd lors de l’Université de la LCR, les 23-25 août 2008. Ces exposés s’insèrent dans un cycle comprenant d’autres sujets et intervenants.

Chacun des trois plans d’exposé ci-dessous est suivi d’extraits de textes complémentaires aux citations déjà incluses dans les plans.

Plan 1 : Marx et Engels : parti historique et parti éphémère

Considérations générales

Les textes et leur contexte

Partis et stratégies

Partis de masse, partis d’avant-garde…

Les grandes controverses

Aux origines

La formation de la classe ouvrière (EP Thompson, M. Lôwy)

Des sociétés secrètes au Parti moderne

La double dissolution de la Ligue des communistes et de la Ie Internationale

1) La Ligue des communistes, qu’entend-on par parti ?

A. « Les communistes ne forment pas un parti distinct opposé aux autres partis ouvriers. Ils n’ont point d’intérêt qui les sépare de l’ensemble du prolétariat. Ils n’établissent aucun principe particulier sur lequel ils voudraient modeler le mouvement ouvrier. Les communistes ne se distinguent des autres partis ouvriers que sur deux points : dans les différentes lutes nationales des prolétaires, il mettent en avant et font valoir les intérêts indépendants de la nationalité et communs à tout le prolétariat, et dans les différentes phases que traverse la lutte entre prolétaires et bourgeois, ils représentent toujours les intérêts du mouvement dans son ensemble. Pratiquement, les communistes sont donc la faction la plus résolue des partis ouvriers de tous les pays, la fraction qui entraîne toutes les autres ; théoriquement, ils ont sur le reste du prolétariat l’avantage d’une intelligence claire des conditions, de la marche, et des fins générales du mouvement prolétarien ».

En 1851, au moment du procès des communistes de Cologne, Engels insiste pour se séparer de ce que font les ânes du parti, et du « prétendu parti révolutionnaire lui-même » qui est devenu dans la défaite « une pépinière de scandales et de bassesses » : B. « Je te ferai d’abord observer qu’après que sur ma demande, la Ligue eût été dissoute en novembre 1852, je n’ai appartenu ni n’appartiens à aucune organisation secrète ou publique ; autrement dit, le parti dans le sens tout à fait éphèmère du terme a cessé d’exister pour moi depuis huit ans… En outre, j’ai essayé d’écarter ce malentendu qui ferait comprendre par « parti » une ligue morte depuis huit ans ou une rédaction de journal dissoute depuis douze ans. Lorsque je parle cependant du parti, j’entends le terme parti dans son sens large, historique. » (Lettre à Freiligrath, 1859).

Cohérent avec l’idée d’une révolution comme « phénomène purement naturel, commandé par des lois physiques » (Engels)

2) L’ AIT et les leçons de la Commune

Remontée, réorganisation (mémoires de Lefrançais, mondialisation victorienne) et fondation de l’AIT : « Les organisations de métiers, les sociétés de secours mutuel et autres associations ouvrières sont invitées à adhérer collectivement ». Un Forum social ?

L’épreuve de la guerre et de la Commune comme révélateur de stratégies politiques (proudhoniens, blanquistes, lassaliens). Les leçons : un parti indépendant (pas à la queue de la bourgeoisie), la destruction de l’Etat, la « forme enfin trouvée ».

Le reflux et la dissolution : C. « Au demeurant, l’Internationale continue effectivement de subsister. La liaison entre les ouvriers révolutionnaires de tous les pays, pour autant qu’elle puisse être efficace, est là… et je ne vois pas en quoi le regroupement de tous ces petits centres autour d’un centre principal pourrait donner une force nouvelle au mouvement, cela ne ferait qu’augmenter les frictions. Néanmoins, le moment venu ou il importera de rassembler les forces pour toutes ces raisons il faudra une longue préparation » (Engels à Ph Becker, février 1982). Ce sera l’argument des Polonais contre la fondation de la 4e Internationale.

Mehring donne une autre interprétation : « Certains ont émis l’hypothèse que Marx se serait encore abstenu longtemps de poser la question politique de la dissolution si la Commune de Paris et l’agitation de Bakounine ne l’y avaient obligé. Cela est fort possible et même vraisemblable, mais…. Ce qu’il oublia de voir, c’est que la tâche à laquelle il était confronté ne pouvait âs être révolue dans le cadre des structures de l’Internationale, et que plus celle-ci regroupait ses forces, pour lutter contre ses ennemis extérieurs, plus elle s’effritait sur le plan interne… Il fallait être aveugle pour ne voir dans la section allemande qui monte en puissance qu’une vulgaire bande vendue à la police (Marx) : là où un parti national se créait, l’Internationale se disloquait ».

« Science et politique » : « Il n’y a pas de forum démocratique pour les travaux scientifiques » et « c’est un poste stérile que d’être rédacteurs d’un journal appartenant à un parti ».

3) La critique du Programme de Gotha

24 000 membres au moment du congrès de 75, 40 000 deux ans plus tard. Engels se rassure : les ouvriers ont lu ce qui aurait dû se trouver dans le programme et non ce qui y était écrit.

Marx furieux d’un Programme étatiste dont Bakounine lui impute la paternité : « Tout pas accompli, tout mouvement réel est plus important qu’une douzaine de programmes. Donc, si l’on ne pouvait pas aller au-delà du programme d’Eisenach, et les circonstances ne le permettaient pas, il fallait simplement se borner à conclure un accord pour l’action contre l’ennemi commun. Mais si l’on fabrique des programmes de principes (au lieu de remettre ça à une époque où pareils programmes auraient été préparés ar une longue action commune) on pose aux yeux du monde entier des jalons qui lui permettent de mesurer le niveau du mouvement du parti. Les chefs lassaliens venaient vers nous parce que les conditions les y contraignaient. Si d’emblée nous leur avions déclaré qu’on ne s’engagerait dans aucune discussion sur les principes, alors ils auraient été obligés de se contenter d’un programme d’action ou bien d’un plan d’organisation en vue de l’action commune. Au lieu de cela, on leur permet de se présenter armés de mandats, et on se reconnaît soi-même être liés par ces mandats. On se rend ainsi dépendant du bon vouloir ou de la mauvaise humeur de ceux qui avaient besoin d’aide. Pour couronner le tout, ils tiennent à un nouveau congrès, avant le congrès du compromis tandis que notre propre parti tient son congrès après coup. On voulait manifestement escamoter toute critique et bannir toute réflexion de notre propre Parti. »

Conclusion : Les métamorphoses de la forme parti

Complément : Citations et Documents

Lettre de Marx à Ruge (sept 1843) : « Donc, non seulement la critique peut, mais elle doit entrer dans les questions politiques (qui dans l’idée des socialistes vulgaires sont bien au- dessous d’elle). En démontrant la supériorité du système représentatif sur le système des ordres, elle intéresse pratiquement un grand parti dans la Nation. En élevant le système représentatif de sa forme politique jusqu’à sa forme généralisée et en dégageant la signification véritable qu’il renferme, elle oblige du même coup ce parti à aller au-delà de lui- même, car triompher reviendrait pour lui à se supprimer ».

Lettre d’Engels, (13 fev. 1851) : « Comment des gens comme nous, qui fuient comme la peste les positions officielles peuvent ils avoir leur place dans un parti ? Que nous importe un “parti” à nous qui crachons sur la popularité et qui commençons à ne plus savoir où nous en sommes lorsque nous nous mettons à devenir populaires ? Que nous importe un parti, c’est-à- dire une bande d’ânes qui ne jurent que par nous… C’est cette position que nous devons adopter dans un proche avenir. Non seulement n’accepter aucune fonction officielle dans l’Etat, mais également, aussi longtemps que possible, aucune position officielle dans le parti. »

Lettre de Marx (19 nov. 1852) :« Mercredi dernier, sur ma proposition, la Ligue d’ici s’est dissoute et a décidé qu’elle n’avait plus lieu de continuer d’exister sur le continent non plus où, du reste, elle avait déjà cessé d’exister en fait » (19/11/52)

Lettre de Marx à Freiligrath, 23/2/60 : « D’un parti au sens où tu l’entends dans ta lettre, je ne sais plus rien depuis 1852. Si toi tu fais de la poésie, moi je fais de la critique, et les expériences faites de 1849 à 52 m’ont suffi amplement. La Ligue, de même que la Société des saisons de Paris, et que cent autres sociétés, ne fut qu’un épisode dans l’histoire du parti qui surgit de toutes parts et tout naturellement du sol de la société moderne » ()

« Son organisation factice de secte [Schweitzer] est opposée à l’organisation historique et spontanée de la classe ouvrière » (Marx, 1/1/70) « Il faut éviter les étiquettes sectaires dans l’AIT. Les aspirations et tendances générales de la classe ouvrière dérivent des conditions réelles dans laquelle elle se trouve placée. C’est pourquoi ces aspirations et tendances sont communes à l’ensemble de cette classe, bien que le mouvement se reflète dans les esprits sous les formes les plus diverses, de façon plus ou moins chimérique ou plus ou moins adéquate. Ceux qui interprètent le mieux le sens caché de la lutte des classes, les communistes, sont les derniers à commettre l’erreur d’approuver le sectarisme ou de l’encourager » (Marx, 18/4/70) « Nos membres français démontrent au gouvernement français la différence qu’il a entre une société politique secrète et une véritable association de travailleurs » (Marx, 18/5/70)

« La Ligue des communistes n’était pas une société conspiratrice, mais une société qui s’efforçait en secret de créer l’organisation du parti prolétarien étant donné que le prolétariat allemand est officiellement privé du droit d’écrire, de parler, de s’associer. Dire qu’une telle société conspire n’est vrai que dans le sens où vapeur et électricité conspirent contre le statu quo. Une telle société secrète a pour but la création non du parti de gouvernement mais du parti d’opposition de l’avenir. » ( Engels à propos du Procès des communistes de Cologne)

« La vieille internationale est complètement finie et elle cesse d’exister. Et c’est bien ainsi. Elle appartenait à la période du second Empire… Le premier succès devait faire éclater la 20/08/08 Université d’été 2008 de la LCR – Marx-Engels : parti historique et parti éphémère Page 4 sur 9 collaboration commune de tous ces groupes. Ce succès a été la Commune qui était absolument dans esprit l’enfant de l’Internationale, bien qu’elle n’ait pas remué le petit doigt pour la provoquer mais qu’elle en ait à juste titre été rendue responsable. Dès que l’Internationale fut devenue une puissance morale en Europe, l’immanquable désagrégation se produisit… L’Internationale a d’un côté, du côté de l’avenir, dominé dix ans de l’histoire de l’Europe et elle peut jeter un regard de fierté sur son travail passé : mais sous sa forme ancienne, elle a fait son temps… Je crois que la prochaine Internationale – quand les œuvres de Marx auront agi pendant quelques années – sera directement communiste et que ce sont justement nos principes qu’elle arborera. .. Quand les circonstance ne permettent plus à ne association d’agir efficacement, quand il s’agit simplement de maintenir pour l’heure le lien qui unit le groupe afin de le réutiliser à l’occasion, ; il se trouve toujours des gens qui ne peuvent s’accommoder de cette situation et veulent tout bonnement jouer les mouches du coche en exigeant qu’on « fasse quelque chose », alors que cette chose ne peut qu’être une sottise » (Engels, 12/9/74)

MARX À KUGELMANN

Londres, le 9 octobre 1866

Cher ami,

... J’avais de vives appréhensions pour le premier Congrès de l’Internationale à Genève. Son effet en France, en Angleterre et en Amérique a été inespéré. Je ne pouvais ni ne voulais m’y rendre, mais j’ai élaboré le programme des délégués londoniens. À dessein, je l’ai limité aux points susceptibles d’un accord immédiat et d’une action commune des travailleurs, afin de donner un aliment et une impulsion directe aux exigences de la lutte de classe et de l’organisation des travailleurs en classe.

Messieurs les Parisiens avaient la tête pleine de phrases proudhoniennes les plus creuses : ils bavardent sur la science, et ne savent rien eux-mêmes ; ils dédaignent toute action révolutionnaire, surgissant directement de la lutte des classes, tout mouvement social centralisé, donc réalisable aussi par des moyens politiques (par exemple, la diminution légale de la journée de travail), sous prétexte de liberté, d’anti-gouvernementalisme ou d’individualisme anti-autoritaire. Ces messieurs qui, depuis seize ans, ont supporté et supportent tranquillement le despotisme le plus vil, prônent en fait une vulgaire économie bourgeoise, mais enjolivée d’idéalisme proudhonien. Proudhon a fait un mal énorme. Son semblant de critique et son simulacre d’opposition aux utopistes - il n’est lui-même qu’un utopiste petit-bourgeois, alors que les utopies d’un Fourier, Owen, etc. sont l’intuition et l’expression imaginaire d’un monde nouveau - ont d’abord séduit et corrompu la jeunesse brillante (Fr.), les étudiants, puis les ouvriers, surtout parisiens qui, en qualité d’ouvriers de luxe, restent sans le savoir fortement attachés à toutes ces vieilleries . Ignorants, vaniteux, arrogants, bavards, emphatiques, ils étaient sur le point de tout gâcher, car ils étaient au Congrès en un nombre qui ne correspond absolument pas à celui de leurs adhérents. Dans le rapport, je leur taperai sur les doigts, en sous-main...

ENGELS : Le programme des réfugiés blanquistes de la Commune

Der Volksstaat, le 26 juin 1874

Durant la contre-révolution qui suit chaque révolution vaincue, les réfugiés qui ont pu en réchapper, développent une activité fiévreuse. Les différentes tendances de parti se regroupent, s’accusent mutuellement d’avoir fait échouer le navire dans la vase, d’avoir trahi ou commis toutes les vilenies possibles et imaginables. Par ailleurs, on maintient avec son pays une liaison étroite, on organise, on conspire, on lance des tracts et des journaux, on jure que le mouvement va se déclencher une nouvelle fois dans les quarante-huit heures, que la victoire est certaine et, dans cette perspective, on distribue déjà des postes gouvernementaux. Naturellement, c’est aller de déception en déception. Or, comme on attribue tous les déboires à des erreurs contingentes, et non à des circonstances historiques inévitables que l’on ne veut pas considérer en face afin de les comprendre, on n’en finit plus de s’accuser mutuellement, et tout cela débouche dans des lamentations générales. C’est le sort de toute émigration, depuis celle des royalistes de 1792 à celle de réfugiés politiques d’aujourd’hui. Ceux parmi les réfugiés qui ont une claire vision et conscience de la situation se retirent des chamailleries stériles, dès qu’ils peuvent le faire décemment, et se consacrent à des tâches meilleures.

L’émigration française de la Commune n’a pas échappé à ce sort inévitable. Le Conseil général de l’Internationale a été contraint, pendant les deux premières années, d’escamoter, du moins aux yeux du monde, les dissensions internes qui le déchiraient, parce que toute l’Europe officielle avait lancé une campagne de diffamation contre toutes les tendances quelles qu’elles soient, mais surtout contre le point central commun que représentait Londres en particulier. Cependant, au cours de ces deux dernières années, le Conseil général ne fut plus en mesure de dissimuler le processus de décomposition qui s’étendait de plus en plus rapidement. La polémique ouverte éclatait de toutes parts. En Suisse, une fraction, influencée essentiellement par Malon, l’un des fondateurs de l’Alliance secrète [1], se joignit aux bakounistes. Ce furent, ensuite, les prétendus blanquistes de Londres qui se retirèrent de l’Internationale et constituèrent un groupe à part sous l’appellation : la Commune révolutionnaire. À côté de cela, il se forma toute une kyrielle d’autres groupes, qui sont en vole de formation et de réorganisation constantes et n’ont pas fait grand-chose même dans leurs proclamations, alors que les blanquistes viennent de porter à la connaissance du monde leur programme dans un manifeste aux « Communeux ».

Ces blanquistes ne portent pas ce nom parce qu’ils forment un groupe fondé par Blanqui ; seuls quelques-uns des trente-trois signataires de ce programme ont peut-être eu l’occasion de parler avec Blanqui. Ils prétendent bien plutôt vouloir agir dans son esprit et dans sa tradition. Blanqui est essentiellement un révolutionnaire politique. Socialiste simplement de par sentiment, sympathisant avec les souffrances du peuple, il ne possède pas de théorie socialiste, ni des solutions pratiques bien déterminées pour remédier aux maux sociaux. De par son activité politique, c’est essentiellement un « homme d’action », étant persuadé qu’une petite minorité bien organisée doit, au bon moment, tenter un coup de main révolutionnaire et réussir, à la suite de ce premier succès, à entraîner les masses populaires et assurer ainsi le triomphe de la révolution.

Sous Louis-Philippe, il ne put évidemment constituer ce noyau que sous la forme d’une société secrète, et c’est alors que se produisit ce qui arrive habituellement lors des conjurations : excédés d’être sans cesse sous le collier en s’entendant promettre sans résultat que le moment était tout proche de passer à l’action, ses partisans finirent par perdre patience et se rebiffèrent, si bien qu’il ne resta qu’une alternative : ou bien laisser tomber la conjuration, ou bien déclencher une action sans les prémisses extérieures. On passa à l’action (le 12 mai 1839), et l’on fut écrasé en un clin d’œil. Au reste, ce fut la seule conspiration blanquiste dans laquelle la police ne réussit pas à prendre pied, ayant été surprise comme par la foudre dans un ciel serein.

Étant donné que Blanqui conçoit toute révolution comme un coup de main, il s’ensuit, de toute nécessité, l’instauration d’une dictature après son triomphe, j’entends bien, non pas une dictature de la classe révolutionnaire - la dictature du prolétariat -, mais la dictature de la poignée de ceux qui ont fait le coup de main et qui eux-mêmes étaient déjà, auparavant, organisés sous la dictature d’un seul homme ou de plusieurs.

Comme on le voit, Blanqui est un révolutionnaire de la génération précédente. Ses idées sur le cours des événements révolutionnaires sont depuis longtemps dépassées, du moins pour le parti ouvrier allemand et même en France elles ne peuvent plus guère avoir de résonance qu’auprès d’ouvriers, peu nombreux, qui ne sont pas très formés et ne savent contenir leur impatience. Qui plus est, nous allons voir que ces conceptions ne sont pas reprises sans quelques restrictions dans le programme en question. Chez nos blanquistes de Londres circule aussi le principe selon lequel les révolutions en général ne se font pas toutes seules, mais doivent être faites ; cependant, selon eux, elles doivent être faites par une minorité relativement restreinte d’après un plan conçu au préalable, et ils pensent qu’elle peut « éclater » à n’importe quel moment.

Il va de soi qu’avec de tels principes, on est livré, pieds et poings liés, à toutes les déceptions personnelles de la vie de réfugié, étant voué à se précipiter d’une folie dans une autre. On veut, avant tout, jouer à être Blanqui, l’ « homme d’action ». Mais, ici la bonne volonté n’est pas d’un grand secours : chacun n’a pas l’instinct révolutionnaire, l’énergie et l’esprit de décision rapide de Blanqui, et Hamlet peut parler d’énergie à perdre haleine, il n’en reste pas moins Hamlet. Or, lorsque nos trente-trois hommes d’action ne trouvent absolument rien à faire au niveau de ce qu’ils appellent Faction, nos trente-trois Brutus entrent avec eux-mêmes dans une contradiction plus comique que tragique, contradiction dont le tragique n’est nullement accru par les mines sombres qu’ils affichent, comme s’ils étaient tous des « Meuros, cachant le poignard sous son manteau » [2], ce qu’ils n’ont pas l’intention de faire, soit dit en passant.

Que faire dès lors ? Ils préparent le « prochain grand coup », en dressant des listes de proscription pour l’avenir, afin que les rangs de ceux qui ont participé à la Commune soient épurés, ce pour quoi ils sont appelés les « purs » parmi les autres réfugiés. Je ne suis pas en mesure de dire s’ils se sont affublés eux-mêmes de ce titre, qui, au reste, irait assez mal à un certain nombre d’entre eux. Leurs réunions se passent à huis clos, et leurs décisions doivent être tenues secrètes, ce qui n’empêche nullement que l’écho s’en répercute le lendemain dans toute la colonie française.

Il arrive à ces sérieux hommes d’action ce qui arrive toujours lorsqu’il n’est pas possible d’agir : ils se sont engagés d’abord dans une polémique personnelle, puis littéraire, avec un digne adversaire, l’un des plus malpropres personnages de la petite presse parisienne, un certain Vermersch, qui publia sous la Commune le Père Duchêne, une lamentable caricature du journal d’Hébert de 1793. Ce noble personnage répond à leur indignation morale, en les traitant tous, dans un pamphlet, de « voyous et de complices de voyous » et les inonde d’un flot épais d’injures ordurières :

Chaque mot

Est un pot de chambre,

Et qui n’est pas vide [3].

C’est avec un pareil adversaire que nos trente-trois Brutus jugent nécessaire de se mesurer devant le public.

Si une chose est certaine, c’est que le prolétariat parisien - après une guerre épuisante, après la famine de Paris, et surtout après l’atroce saignée des journées de Mai 1871 - a besoin de toute une période de repos, afin de rassembler de nouveau ses forces, toute tentative prématurée d’un soulèvement ne pouvant avoir pour conséquence qu’une défaite nouvelle, si possible plus terrible encore. Nos blanquistes ne sont pas de cet avis. La désagrégation de la majorité monarchiste à Versailles leur annonce « la chute de Versailles et la revanche de la Commune. En effet, nous arrivons à ce grand moment historique, cette grave crise, où le peuple qui semble noyé dans sa misère et voué à la mort, va reprendre sa marche révolutionnaire avec une force nouvelle ». Cela va donc barder de nouveau, et bientôt. Or, cet espoir d’une imminente « revanche de la Commune » n’est pas seulement une illusion de réfugié, c’est un acte de foi nécessaire de gens qui se sont mis de toute force en tête qu’ils doivent jouer aux « hommes d’action », à un moment où il n’y a absolument rien qui permette de faire quoi que ce soit dans ce sens, celui d’un coup de main révolutionnaire. Mais que leur importe ! Si le mouvement est déclenché, ils estimeront « que le moment est venu, que tout ce qui, parmi les réfugiés, a encore en soi de la vie, va se manifester ». Ainsi donc, les Trente-Trois nous déclarent qu’ils sont : 1º athées ; 2º communistes ; 3º révolutionnaires.

Nos blanquistes ont en commun avec les bakounistes qu’ils veulent représenter la tendance la plus avancée et la plus extrémiste. C’est pour cela que, soit dit en passant, ils marchent souvent ensemble, pour ce qui est des moyens employés, bien que leurs buts soient opposés. Il s’agit donc, pour ce qui est de l’athéisme, d’être plus radicaux que tous les autres. Par bonheur, il est très facile aujourd’hui d’être athée. En général, l’athéisme est à peu près une évidence pour les partis ouvriers européens, encore que, dans certains pays, il puisse subsister un parti comme celui des bakounistes espagnols, qui proclame : croire à Dieu est contraire à tout socialisme, mais croire en la Vierge Marie, c’est tout autre chose, et il va de soi qu’un socialiste courant y croit. Chez la plupart des ouvriers sociaux-démocrates allemands, on peut même dire que le problème de l’athéisme est dépassé, ce terme purement négatif n’ayant plus d’effet sur eux, puisqu’ils n’ont plus vis-à-vis de la foi en Dieu une opposition théorique, mais pratique : ils en ont tout simplement fini avec Dieu, car ils vivent et pensent dans le monde réel et sont, de ce fait, des matérialistes.

C’est certainement aussi le cas en France. Mais, s’il n’en était pas ainsi, rien ne serait plus simple que de s’attacher à diffuser massivement parmi les ouvriers la brillante littérature matérialiste française du siècle dernier. L’esprit français, tant du point de vue de la forme que du contenu, y a atteint ses plus hauts sommets. Même si l’on considère le niveau scientifique actuel, cette littérature dépasse de très loin la substance des écrits d’aujourd’hui ; pour ce qui est de sa forme, elle n’a jamais plus été atteinte. Mais, cela ne convient pas à nos blanquistes. Afin de démontrer qu’ils sont plus radicaux que quiconque, ils abolissent Dieu par décret, comme en 1793 :

« La Commune doit avoir libéré l’humanité de ce fantôme de la misère d’autrefois » [Dieu] « et de cette cause » [Dieu qui n’existe pas devient une cause !!!] « de sa misère présente. Il n’y a pas de place pour les curés dans la Commune ; toute manifestation religieuse, toute organisation religieuse doit être interdite. »

Cette revendication, à savoir transformer les gens en athées par ordre du mufti, est signée par deux membres de la Commune qui ont pourtant eu l’occasion d’apprendre par l’expérience : 10 que l’on peut ordonner tout ce que l’on veut sur le papier, sans que pour autant cela soit appliqué, et 20 que les persécutions sont le meilleur moyen pour faire naître des croyants inopportuns. Une chose est sûre : le seul service que l’on puisse rendre aujourd’hui à Dieu, c’est de déclarer que l’athéisme est un article de foi obligatoire, et de surenchérir sur les lois anticléricales du Kulturkampf de Bismarck [4] en interdisant la religion en général.

Le second point du programme, c’est le communisme. Nous nous sentons ici plus chez nous, car le navire sur lequel nous voguons s’appelle : Manifeste du Parti communiste, publié en février 1848. Dès l’automne 1872, les cinq blanquistes sortis de l’Internationale ont professé un programme socialiste qui dans tous ses points essentiels était celui-là même de l’actuel communisme allemand, et motivé leur départ uniquement par le fait que l’Internationale refusait de jouer à la révolution comme ils l’entendaient [5]. À présent, le comité des Trente- Trois a adopté ce programme avec toute la conception matérialiste de l’histoire qu’il implique, encore que sa traduction en français blanquiste laisse à désirer sur bien des points, dès lors que le Manifeste n’est pas reproduit pour ainsi dire littéralement. C’est ce que montre, par exemple, le passage suivant :

« Comme expression ultime de toutes les formes d’asservissement, la bourgeoisie a dépouillé l’exploitation du travail de son voile mystique, qui l’enveloppait autrefois : les gouvernements, religions, familles, lois, institutions du passé comme du présent se réduisent enfin, dans cette société, au simple antagonisme entre capitalistes et ouvriers salariés, en étant les instruments de l’oppression, grâce auxquels la bourgeoisie maintient sa domination et assujettit le prolétariat. »

Que l’on compare à ce passage le texte du Manifeste communiste, « En un mot, à la place de l’exploitation voilée par des illusions religieuses et politiques, la bourgeoisie a mis l’exploitation franche, éhontée, directe, dans toute sa sécheresse. Elle a dépouillé de leur sainte auréole toutes les activités jusqu’alors vénérables et considérées avec un pieux respect. Elle a changé en salariés à ses gages le médecin, le juriste, le curé, le poète, l’homme de science. Elle a arraché aux relations familiales leur voile de touchantes sentimentalités et les a transformées en un simple rapport d’argent, etc. »

Mais à mesure qu’ils descendent de la théorie à la pratique, les Trente-Trois affirment de plus en plus leur originalité : « Nous sommes communistes, parce que nous voulons arriver à notre but, sans nous arrêter à des stades intermédiaires, à des compromis qui ne font que différer la victoire et prolonger l’esclavage. »

Les communistes allemands sont communistes, parce qu’ils passent par tous les stades intermédiaires et compromis, qui ne sont pas faits par eux, mais par le développement historique, en ayant toujours clairement devant les yeux le but final qu’ils poursuivent sans cesse : l’abolition des classes et l’instauration d’une société où n’existe plus de propriété privée du sol et des moyens de production.

Les Trente-Trois sont communistes, parce qu’ils s’imaginent que l’affaire est réglée, pourvu qu’ils aient la bonne volonté de sauter les stades intermédiaires et les compromis : comme il est convenu, s’ils « passent tel jour à l’attaque » et arrivent au pouvoir, le « communisme est instauré » le surlendemain. Si cela n’est pas possible tout de suite, alors nous ne sommes pas des communistes. Il est puéril et naïf d’ériger l’impatience en fondement de la conviction théorique !

Enfin, nos Trente-Trois sont des « révolutionnaires ». Comme on le sait, dans ce domaine, les bakounistes ont déjà battu tous les records possibles, pour ce qui est des formules creuses et enflées. Toutefois, les blanquistes se font un devoir de les surpasser encore. Et comment ? Comme on le sait, tout le prolétariat socialiste - de Lisbonne et New York à Pest et Belgrade - a tout de suite assumé en bloc la responsabilité des actes de la Commune de Paris. Mais, ce n’est pas assez pour nos blanquistes :

« En ce qui nous concerne, nous revendiquons notre part de responsabilité dans les exécutions qui [sous la Commune] ont frappé les ennemis du peuple » [suit la liste des fusillés] ; « nous revendiquons notre part de responsabilité dans les incendies qui ont anéanti les instruments de l’oppression monarchiste ou bourgeoise ou qui ont protégé les combattants ».

Dans toute révolution, il arrive inévitablement toutes sortes de bêtises, comme d’ailleurs dans toute autre période, et lorsqu’on a enfin de nouveau repris un peu son calme, on en vient nécessairement à la conclusion : Nous avons fait beaucoup de choses que nous eussions mieux fait de ne pas faire, et nous avons omis de faire beaucoup de choses que nous eussions dû faire, et c’est pour cela que nous avons essuyé un revers. Mais quel manque d’esprit critique que de sanctifier littéralement la Commune, de la déclarer infaillible, d’affirmer que chaque maison brûlée, chaque otage fusillé a subi, exactement et jusque dans le dernier détail, ce qui lui était dû [6]. Cela ne revient-il pas à affirmer que, durant la semaine de Mai, le peuple a fusillé exactement les gens qui devaient être fusillés - et pas plus et pas moins -, et qu’il a incendié exactement les bâtiments qu’il fallait, et pas plus et pas moins. Enfin, n’est-ce pas comme si l’on affirmait à propos de la première révolution française : tous ceux qui ont été guillotinés l’ont été à bon escient, aussi bien ceux que Robespierre a fait décapiter que ceux qui ont ensuite décapité Robespierre ? Voilà les enfantillages auxquels aboutissent des gens, au fond tout à fait débonnaires, qui veulent faire un effet terrible !

Mais, il suffit ! Malgré toutes les excentricités de réfugiés et toutes les tentatives - qui se changent en leur contraire - de vouloir faire apparaître Charles ou Edouard comme des terreurs, il y a incontestablement un progrès fondamental dans ce programme : c’est le premier manifeste, par lequel des ouvriers français professent l’actuel communisme allemand. Qui plus est, des ouvriers de la tendance qui tient les Français pour le peuple élu de la révolution et Paris pour la Jérusalem révolutionnaire. C’est le mérite incontesté de Vaillant - cosignataire du programme et excellent connaisseur de la langue allemande et de notre littérature socialiste - que de les avoir amené à faire ce pas. Les ouvriers socialistes allemands, qui ont démontré qu’ils étaient totalement affranchis de tout chauvinisme national, peuvent considérer comme un symptôme de bon augure le fait que des ouvriers français adoptent des principes théoriques justes, bien qu’ils viennent d’Allemagne.

Plan 2 : Social-démocratie, bolchévisme, bureaucratisation

Introduction

des cercles conspiratifs aux partis parlementaires et aux syndicats de masse

bureaucratisation et faillite de la 2e Internationale

I. Un modèle, la social démocratie allemande ?

Les illusions du progrès (Sorel) et le chemin du pouvoir (Kautsky)

L’illusion majoritaire à l’épreuve de la grève de masse

« A cet instant où gisent à terre les politiciens en qui les adversaires du fascisme avaient mis leur espoir, où ces politiciens aggravent leur défaite en trahissant leur propre cause, nous voudrions arracher l’enfant politique du monde aux filets dans lesquels ils l’avaient enfermé. Le point de départ de notre réflexion est que l’attachement de ces politiciens au mythe du progrès, leur confiance dans la “masse” qui leur servait de ”base”, et finalement leur asservissement à un incontrôlable appareil ne furent que trois aspects d’une même réalité. Nous voudrions suggérer comme il coûte cher à nos habitudes de pensée d’aboutir à une vision de l’histoire qui refuse toute complicité avec celle à laquelle s’accrochent encore nos politiciens ». (Walter Benjamin, 10e thèse sur le concept d’histoire, 1939)

II. Le bolchevisme, un anti-modèle ?

1. Lénine, révolution dans la révolution

Que faire ? : « la confusion du parti et de la classe » = « une idée désorganisatrice », délimitation du parti et de la classe comme enjeu des statuts dans Un pas en avant, deux pas en arrière.

Un parti de classe indépendant, mais le militant comme « tribun populaire intervenant dans toutes les couches de la société ».

La « crise nationale » comme crise générale des « rapports réciproques entre toutes les classes de la société contemporaine ».

Temps brisé de la politique et permanence du parti : « L’on ne saurait se représenter la révolution elle-même sous forme d’une acte unique : la révolution sera une succession rapide d’explosions plus ou moins violentes, alternant avec des phases d’accalmie plus ou moins profondes. C’est pourquoi l’activité essentielle de notre parti, le foyer essentiel de son activité doit être un travail possible et nécessaire aussi bien dans les périodes les plus violentes d’explosion que dans celles d’accalmie, c’est à dire un travail d’agitation politique unifié pour toute la Russie. »

La conscience politique vient de l’extérieur de la sphère économique ?

2. Trotski et Rosa, critiques du bolchevisme

« La social-démocratie n’est pas liée à l’organisation de la classe ouvrière, elle est le mouvement propre de la classe ouvrière » (Rosa, réponse à Que Faire ?, fidélité à Marx).

Trotski dans Nos tâches politiques (1902) : « Le marxisme enseigne que les intérêts du prolétariat sont déterminés par les conditions de son existence. Ces intérêts sont si puissants et si inéluctables qu’ils contraignent finalement le prolétariat à les faire passer dans son champ de conscience, c’est à dire à faire de la réalisation de ses intérêts objectifs son intérêt subjectif ». En somme classe en soi/pour soi.

« Les éléments les plus conscients, et par là les plus révolutionnaires, seront toujours en minorité dans notre parti. Si nous admettons cette situation et nous y faisons, cela ne peut être expliqué que par la foi dans la destinée révolutionnaire de la classe ouvrière, autrement dit par notre foi dans la réception inévitable des idées révolutionnaires comme celles qui conviennent le mieux au mouvement historique du prolétariat » (ibid).

Rosa et la faillite de la IIe Internationale (brochure Junius) : une critique du chauvinisme et de « l’Union sacrée, c’est à dire la suspension de la lutte des classes pour la durée de la guerre » : « Ainsi donc, la social-démocratie déclare qu’à la date du 4 août 1914, eet jusqu’à la conclusion future de la paix, la lutte de classe n’existe plus ».

La critique de Lénine : le principal défaut de la brochure, « c’est le silence de l’auteur sur le lien entre le social-chauvinisme et l’opportunisme (…) II n’est pas question de l’opportunisme ni du kautskisme. C’est une faute théorique, car il est impossible d’expliquer la trahison sans la mettre en rapport avec l’opportunisme en tant que tendance ayant derrière elle un longe histoire, l’histoire de toute la 2e Internationale (...). Le plus grand défaut de tout le marxisme révolutionnaire allemand, c’est l’absence d’une organistion illégale étroitement nie, suivant systématiquement une voie bien à elle et éduquant les masses dans l’esprit des nouvelles tâches ».

3. La bolchevisation et le « léninisme » après Lénine.

III. Bureaucratisation et bureaucratie

1. Une prise de conscience : Ostrogorski, Sorel, Michels.

2. Le livre de Roberto Michels sur Les Partis politiques (1909-1910).

« L’organisation constitue précisément la source d’où les courants conservateurs se déversent sur la plaine de la démocratie » : « Réduite à sa plus brève expression,la loi sociologique fondamentale qui régit inéluctablement les partis politiques peut être formulée ainsi : l’organisation est la source d’où naît la domination des élus sur les électeurs, des mandataires sur les mandats, des délégués sur ceux qui délèguent. Qui dit organisation, dit oligarchie. » « C’est une loi sociale inéluctable que tout organise de la collectivité, né de la division du travail, se crée, dès qu’il est consolidé, un intérêt spécial, un intérêt qui existe en soi et pour soi. Mais des intérêts spéciaux ne peuvent exister au sein de l’organisme collectif, sans se trouver aussitôt en opposition avec l’intérêt général. Plus que cela : des couches sociales remplissant des fonctions différentes tendent à s’isoler, à se donner des organes aptes à défendre leurs intérêts particuliers et à se transformer finalement en classe distinctes. »

Les chefs : « L’adoration provoque facilement la mégalomanie chez celui en en est l’objet ».

« Un des faits qui surprennent le plus, lorsqu’on étudie l’histoire du mouvement ouvrier socialiste allemand, c’est la stabilité du personnel dirigeant du parti ».

« Ce que l’Eglise offre aux paysans et aux petits-bourgeois, c’est à dire un moyen relativement facile d’ascension sociale, le Parti socialiste l’offre aux ouvriers intelligents ». Le Parti comme ascenseur social.

« Le jour où le gouvernement allemand voudra s’offrir le luxe d’un simple ministère libéralisant (les socialistes étant en effet faciles à contenter) l’infection réformiste prendre en Allemagne une vaste extension ».

« Les hommes du parti ont pendant un demi-siècle travaillé à la sueur de leur front pour créer une organisation modèle. Et aujourd’hui que l’organisation englobe trois millions de travailleurs, plus qu’il n’aurait osé espérer, plus même qu’on ne jugeait nécessaire pour remporter sur l’ennemi une victoire complète, le parti s’est doté d’une bureaucratie qui, par la conscience des devoirs, par son zèle et sa soumission à la hiérarchie, rivalise avec celle de l’Etat lui-même ; les caisses sont pleines, un réseau complexe d’intérêts financiers et moraux s’est étendu sur tout le pays (…). Il est à craindre que la révolution sociale ne substitue à la classe dominante visible et tangible qui existe de nos jours et agit ouvertement, une oligarchie démagogique clandestine, opérant sous le faux masque de l’égalité. »

3. Des Dangers professionnels du pouvoir (C. Racovski) aux travaux de Moshe Lewin.

4. Antidotes à la gangrène bureaucratique ?

« l’action prophylactique du syndicalisme » (syndicalisme révolutionnaire, etc).

« l’action prophylactique de l’anarchisme », « un autoritarisme à outrance ».

« Ostrogorski avait proposé de substituer à l’organisation du parti, qui aboutit toujours à des formes antidémocratiques, un système d’associations temporaires qui ne se formeraient qu’en vue de la réalisation d’un but donné et se dissoudraient une fois ce but atteint » (Michels)

Conclusion : Partis et stratégies à l’épreuve de la révolution : les Thèses d’avril et l’insurrection d’Octobre.

Complément : Citations et documents

Trotski, Nos tâches politiques (1903)

« Le mouvement révolutionnaire russe doit, quand il aura triomphé comme mouvement ouvrier, se transformer sans plus tarder en un processus d’autodétermination politique du prolétariat ; sinon, la social-démocratie russe est, en tant que telle, une erreur historique »

« Si nous considérons le contenu de notre travail, nous avons le spectacle d’un Parti situé au- dessus du prolétariat (du moins ce que le camarade Lénine et ses partisans comprennent sous le terme de Part), plus exactement nous voyons une organisation aux trois quarts, si ce n’est aux neuf dixièmes, constituée d’intellectuels marxistes, dirigeant les manifestations primitives de la lutte de classe du prolétariat, et, par dessus le marché, partant de temps en temps en campagne « dans toutes les classes de la population », c‘est-à-dire participant aux luttes politiques de la bourgeoisie radicale ».

« Dans la politique interne du Parti, ces méthodes conduisent l’organisation du Parti à se substituer au Parti le Comité central à l’organisation du Parti, et finalement le dictateur à se substituer au Comité central (…) Les tâches organisationnelles sont pour nous totalement subordonnées aux méthodes de tactique politique. Voilà pourquoi cette brochure aussi, qui est née des divergences sur les questions d’organisation prend comme point de départ les questions de tactique. Pour comprendre les divergences en matière d’organisation, il faut sortir de leurs limites, autrement on s’asphyxie dans la scolastique et les logomachies du même acabit. »

« Même si notre Parti, dans les conditions de l’autocratie, édifiait cette construction organisationnelle idéale, même s’il gardait intacte celle-ci à travers toutes les épreuves que nous prépare la période de liquidation de l’autocratie, lorsque le capitalisme russe, enivré par les nouvelles sources de développement qui s’ouvriront à lui, détournera peut-être le prolétariat de la dure lutte politique et le poussera sur le chemin de la moindre résistance, sur le chemins des organisations professionnelles et économiques, pourtant, alors même “l’organisation forte et puissante” restera suspendue sans vie au-dessus des luttes de classes vivantes, comme une voile que ne vient plus gonfler le vent. Et alors, tous ceux pour lesquels c’est pur opportunisme que de compter uniquement sur la croissance lente mais constante de la conscience de classe, tous ceux auxquels la logique historique du mouvement de classe du prolétariat parle moins que la logique bureaucratique de tels ou tel plan organisationnel, tous ceux-là seront pris au dépourvu, et la vague de désenchantement politique emportera inévitablement hors de nos rangs beaucoup de ces mystiques de la forme organisationnelle.

Car cette déconvenue touchera non seulement la forme organisationnelle, non seulement l’idée du centralisme en tant que telle, mais l’idée du centralisme en tant que fondement de la conception révolutionnaire du monde. Le fiasco du fétichisme organisationnel signifiera inévitablement pour leur conscience politique la faillite du marxisme, car pour eux l’ensemble du marxisme s’est réduit à quelques formules organisationnelles primitives. Bien plus, ce sera la faillite de leur foi dans le prolétariat en tant que classe qui ne s’est pas laissée conduire à la dictature, bien qu’on lui ait proposé pour cela des itinéraires si sûrs et si directs….

Désenchantés et déçus, ils nous quitteront, les uns vers le réformisme, les autres vers l’anarchisme, et s’il nous arrive de les rencontrer un jour au croisement de deux routes politiques, nous leur rappellerons cette prédiction. »

Lénine

« Le §1 des statuts définit la notion de membre du parti. Dans mon projet, cette définition était la suivante : “Est membre du parti quiconque reconnaît son programme et soutien le Parti tant matériellement qu’en militant personnellement dans une de ses organisations”. Au lieu des mots soulignés, Martov, lui, proposait : en travaillant sou les contrôle et la direction d’une de ses organisations (…) La formule de Martov reculait les limites du Parti. Il alléguait que notre Parti doit être un parti de masse. Il ouvrait bien grande la porte au opportunistes de toute espèce et reculait les limites du parti jusqu’à le rendre complètement amorphe. Or, dans nos conditions, c’est là un grave danger car il est extrêmement difficile d’établir la démarcation entre le révolutionnaire et le bavard oiseux ; c’est pourquoi il nous fallait restreindre la notion de Parti (…) Je l’ai répété plusieurs fois, je ne considère pas du tout divergence sur le §1 comme fondamentale au point que la vie ou la mort du parti en dépende (…) Du point de vue du camarade Martov, les limites du Parti restent absolument indéterminées, car chaque gréviste peut se déclarer membre du Parti. Quelle est l’utilité de cette imprécision ? La large diffusion d’une “appellation ». Elle a ceci de nuisible qu’elle comporte une idée désorganisatrice, la confusion de la classe avec le Parti » (Un pas en avant, deux pas en arrière, 1904).

« La lutte contre l’absurde théorie réactionnaire de l’organisation-procès qui couvre toutes les débandades » : « Il est temps d’aller de l’avant et de cesser de couvrir le désordre au moyen de la fameuse théorie de l’organisation procès » ( janvier 1905).

« Quand le Rabotchéié Diélo déduisait les objectifs politiques du parti révolutionnaire du prolétariat à partir de la lutte économique syndicale, il rétrécissait et avilissait de façon impardonnable les conceptions social-démocrates, il abaissait le niveau de l’action poltiqiue multiforme du prolétariat » (janvier 1905) Problème de l’hégémonie contre le « socialisme pur ».

« La camarade Rosa Luxemburg présume que je défens un certain système d’organisation contre un autre. Mais la réalité est autre. De la première à la deernière page [de Un pas en avant…], je défends les principes élémentaires de tout système d’organisation du Parti, quel qu’il soit. » (1904) . Et 1905 : « Nous sommes en temps de guerre. La jeunesse décidera de l’issue de la lute. Secouez toutes les vieilles habitudes d’immobilité, de respect hiérarchique, etc. ! Formez des centaines de cercles de jeunes sympathisants et encouragez les à travailler sans arrêt ! Triplez le comité en y faisant entrer des jeunes, crééz cinq sous-comités, ou une dizaine, cooptez toute personne énergique et honnête. Donnez sans paperasserie à tout sous comité le droit de rédiger et de publier des tracts. Il faut grouper et metttre en mouvement avec la promptitude la plus grande tous ceux qui ont de l’initiative révolutionnaire. Ne craignez pas leur manque de préparation, ne tremblez pas devant leur inexpérience et leur manque de culture. »

« Nous sommes convaincus de la nécessité d’assurer dans les statuts du parti les droits de toute minorité, afin de détourner du cours philistin habituel de scandales et mesquines querelles, les continuelles et intarissables sources de mécontentement, d’irritation et de conflits, afin de les amener dans le canal encore inaccoutumé d’une lutte régulière et digne pour la défense de ses convictions. Parmi ces garanties absolues, nous rangeons l’octroi à la minorité d’un ou plusieurs groupes littéraires, avoir de représentation aux congrès et liberté d’expression complète. » (juillet 1904)

« La révolution populaire ne peut pas être faite à date fixe, c’est juste. Mais fixer la date de l’insurrection, si nous l’avons réellement préparée et si le bouleversement déjà accompli dans les rapports sociaux la rend possible, est chose parfaitement concevable. Peut-on déclencher sur ordre un mouvement ouvrier ? Non, car il est le résultat de mille ates distincts engendrés par le bouleversement des rapports sociaux. Peut-on délencher sur ne ordre une grève ? Oui, bien que toute grève soit le résultat d’un bouleversement des rapports sociaux. Quand peut-on déclencher une grève ? Quand l’organisation ou le groupe qui la déclenche a de l’influence sur la masse des ouvriers intéressés et sait mesurer avec justesse l’irritation et le mécontentement grandissants de cette masse. » (Deux tactiques, fev 1905).

« Se lancer aujourd’hui [1907] dans des raisonnements sur le fait que l’Iskra surestimait en 1901/1902 l’idée de l’organisation des révolutionnaires professionnels, c’est comme si après la guerre russo-japonaise on accusait les Japonais d’avoir surestimé les forces armées russes, de s’être préoccupés exagérément avant la guerre de préparer leur lutte contre ces forces (…). Prenez toute la période révolutionnaire et l’ensemble des trente premiers mois de la révolution (1905-1907) et faites la comparaison entre notre parti et les autres partis sous le rapport de la cohésion, de l’organisation, de la continuité. Vous devez sous ce rapport reconnaître à notre parti une supériorité sur tous les autres (…) Il n’avait pas été dans mon intention d’ériger les formulations de Que Faire ? en une sorte de programme, un énoncé de principes particuliers. Bien au contraire, j’utilisais une expression qui devait être par la suite souvent citée, celle du bâton tordu. Que Faire ? disais-je redresse la barre tordue par les économistes (…) Quel était le lien organique de l’opportunisme dans toutes les conceptions de tactique avec celles d’organisation, toute l’histoire du menchevisme entre 1905 et 1907 l’a suffisamment montré. » (Préface au recueil Douze ans, 1907) Gramsci : Le Parti et la révolution (Ordine Nuovo, 27 décembre 1919)

« Le parti socialiste est indubitablement le principal agent de ce processus de désagrégation et de restructuration, mais il n’est pas, et il est inconcevable qu’il puisse être, la forme même de ce processus (…). La social-démocratie germanique (entendue comme l’ensemble du mouvement syndical et politique) a réalisé le paradoxe de plier par la violence le processus de la révolution prolétarienne allemande aux formes de son organisation, et elle a cru ainsi dominer l’histoire. Elle a créé ses conseils autoritairement, avec une majorité sûre choisie parmi ses hommes : elle a mis des entraves à la révolution, elle l’a domestiquée. Voici que le parti [celui que Gramsci appelle de ses vœux] est en train de s’identifier à la conscience historique des masses populaires et d’en gouverner le mouvement spontané, irrésistible ; c’est là une façon de gouverner incorporelle ; elle s’exerce à travers de millions de liens spirituels, elle est un rayonnement de prestige qui en peut se transformer en gouvernement effectif qu’à la faveur de moments de paroxysme ; un appel à descendre dans la rue, le déploiement de forces militantes prêtes à repousser de leur corps un danger, prêtes à disperser la nuée de la violence réactionnaire.

Le parti reste la hiérarchie supérieure de cet irrésistible mouvement de masse. Le parti exerce la plus efficace des dictatures, celle qui naît du prestige, celle qui est l’acceptation consciente et spontanée d’une autorité que l’on reconnaît comme étant indispensable à la bonne réussite de l’œuvre entreprise. Gare si, par une conception sectaire du rôle du parti dans la révolution, on prétend matérialiser cette hiérarchie, si l’on prétend fixer dans les formes mécaniques du pouvoir immédiat l’appareil de gouvernement des masses en mouvement, si l’on prétend plier le processus révolutionnaire aux formes du parti ! Car on réussira alors à entraîner une partie des hommes, on réussira à dominer l’histoire, mais le réel processus révolutionnaire échappera au contrôle et à l’influence du parti, devenu à son insu un organisme conservateur ».

Plan 3 : L’expérience des années 30

Introduction

Le contexte, victoire du nazisme, guerre d’Espagne, procès de Moscou, la guerre qui vient.

Les leçons de l’Allemagne : faillite du Parti communiste et de l’Internationale.

La méthode : ne pas anticiper sur les pronostics, mais partir de l’épreuve des faits.

Les Onze points de l’Opposition de gauche.

Trois expériences, trois questions : 1. Le centrisme ; 2. L’entrisme ; 3. Le parti ouvrier de masse

I. Le centrisme

1. Construire le parti, construire l’Internationale, mais il y a du jeu entre les deux : « Avant que nous construisions une véritable Internationale, de nombreuses sections seront encore obligées de faire de nombreux tournants. Aller en ligne droite n’est guère possible. » (lettre à Sneevliet, fev 1936).

2. Un champ magnétique entre réforme et révolution, des pôles d’attraction de force inégale (Etat, camp socialiste) entre lesquels les évolutions scintillent « de toutes les couleurs de l’arc-en-ciel »). Question d’actualité.

3. Pas de critère programmatique abstrait mais une compréhension des rapports de forces, des processus sociaux, des trajectoires (de droite à gauche, de gauche à droite) et de leur inversion rapide. Différence entre le « centrisme de masse » et « sans masses ».

4. Pas confondre front unique et construction du parti : « Le front unique suppose des organes de masse et vous n’êtes que des sociétés de propagande. Si vos conceptions sont identiques, il faut fusionner. »

5. Les expériences du POUM, de l’ILP, du PSOP. « Dans la mesure où nous proposons à notre section anglaise d’entrer dans l’ILP, il est clair que nos camarades, ce faisant vont rompre leur lien avec nous. Nous avons tout à y gagner et en considération de ce fait, ce retrait est une question secondaire. »

II. La question de l’entrisme

1. Rappel sur ce qu’est le mouvement ouvrier des années 30 : une social- démocratie qui se réclame encore de la dictature du prolétariat, l’héroïsme bureaucratisé des partis communistes et leur dépendance envers l’Union soviétique. La proximité de la révolution russe, l’instabilité de la situation et les crises.

2. Comment prendre place dans le front unique ? « Poser la question, c’est au fond y répondre. La Ligue doit immédiatement prendre place dans le front unique pour contribuer activement au regroupement révolutionnaire. Occuper une telle place, elle ne peut le faire autrement, dans les conditions actuelles, qu’en entrant dans le parti socialiste » (1934)

3. Un remède contre le sectarisme ?« Il faut trouver à ces groupes de propagande un milieu politique réel, même au prix d’un renoncement temporaire à leur indépendance formelle. C’est une étape importante dans l’éducation politique de nos sections ». Avantages (principe de réalité) et inconvénients.

4. L’entrisme ou comment en sortir ? L’expérience française 1934/1936. L’expérience américaine.

III. La question du parti ouvrier de masse

1. Les antécédents historiques : formation de la classe ouvrière en parti politique : le chartisme, les chevaliers du travail, les origines du parti travailliste et ses liens avec le mouvement syndical. Cette expérience appliquée aux Etats-Unis des années trente avec la naissance de la CIO.

2. Il ne s’agit pas de créer un Parti réformiste, mais un parti de classe indépendant de la bourgeoisie. L’expérience contemporaine du Parti des travailleurs au Brésil.

3. Mais on est dans les années 30 et non pas à la naissance du mouvement ouvrier international : une formule éminemment transitoire.

4. Un congrès de Tours à l’envers ? En 1934 : « Pour le moment, la fusion des deux partis ouvriers constituerait un progrès, non par rapporrt au mot d’ordre de Lénine en 1914, ni par rapport au congrès de Tours, mais par rapport à la situation actuelle telle qu’elle est. La fusion des deux partis signifierait la possibilité de recommencer. Tout est là. Le mouvement ouvrier est poussé dans une impasse historique. La fusion ouvrirait la voie à la discussion, à l’étude, à la lutte sir une grande échelle, et en même temps à la cristallisation d’un nouveau parti révolutionnaire. Le recul historique consiste non seulement dans l’attitude de la bureaucratie stalinienne, mais aussi en ce que cette fraternisation sans contenu présente un progrès par rapport à l’impasse absolue. Terrible dialectique » (Préface à une brochure de Fred Zeller).

Pour continuer à réfléchir

1. Une gymnastique organisationnelle subtile mais trop souple pour construire.

2. Ce qui a changé dans le monde et dans les conditions de construction d’une force révolutionnaire.

Compléments : Citations et documents

Les Onze points de l’Opposition de gauche ( juillet 1933)

« 1. L’indépendance du parti prolétarien, toujours et dans toutes les conditions », comme leçon de la politique en Chine vis à vis du Kuomintang.

« 2. La reconnaissance du caractère international et par là permanent de la révolution prolétarienne », contre la théorie de la révolution par étapes et du socialisme dans un seul pays.

« 3. La reconnaissance de l’Etat soviétique comme un Etat ouvrier en dépit de la dégénérescence croissante du régime bureaucratique. »

« 4. La condamnation de la politique économie que la fraction stalinienne »

« 5. Reconnaissance de la nécessité du travail communiste systématique dans les organisations prolétariennes de masse, particulièrement dans les syndicats réformistes »

« 6. Rejet de la formule de la dictature démocratique des ouvriers et des paysans comme régime séparé et distinct de la dictature du prolétariat ». A nouveau contre la révolution par étapes en fonction des leçons d de la révolution chinoise.

« 7. Reconnaissance de la nécessité de mobiliser les masses sous des mots d’ordre de transition, correspondant à la situation concrète das chaque pays et particulièrement sur des mots d’ordre démocratiques quand il s’agit de lutte contre les rapports féodaux, d’oppression nationale… »

« 8. Reconnaissance de la nécessité de développer une politique de front unique vis à vis des organisations de masse de la classe ouvrière, tant syndicales que politiques, y compris la social-démocratie en tant que parti. » Leçons d’Allemagne

« 9. Rejet de la théorie du social-fascisme… ». Idem

« 10. … Reconnaissance de la nécessité d’une Internationale communiste authentique capable d’appliquer les principes ci-dessus. »

« 11. Reconnaissance de la démocratie du parti, non seulement en paroles, mais aussi en actes. »

Trotski : « Pourquoi le prolétariat espagnol a-t-il été vaincu ? » (août 1940)

« Comme les libéraux, nos sages admettent tacitement l’axiome selon lequel chaque classe a la direction qu’elle mérite. En réalité, la direction n’est pas du tout le simple reflet d’une classe ou le produit de sa propre puissance créatrice. Une direction se constitue au travers des heurts entre différentes classes ou des frictions entre les différentes couches au sein d’une classe donnée. Mais, aussitôt apparue, la direction s’élève inévitablement au-dessus de sa classe et risque alors de subir la pression et l’influence d’autres classes. Le prolétariat peut “tolérer” pendant longtemps une direction qui a déjà subi une totale dégénérescence intérieure, mais qui n’a pas eu l’occasion de la manifester au cours de grands événements. Il faut un grand choc historique pour révéler de façon aigüe la contradidiction qui existe entre la direction et la classe. Les chocs historiques les plus puissants sont les guerres et les révolutions. C’est précisément pur cette raison que la classe ouvrière er trouve souvent prise au dépourvue par la guerre et la révolution. Mais, même quand l’ancienne direction a révélé sa propre corruption interne, la classe ne peut pas improviser immédiatement une direction nouvelle, surtout si elle n’a pas hérité de la période précédente des cadres révolutionnaires solides, capables de mettre à profit l’écroulement du vieux parti dirigeant (…). Il est certain que dans le cours d’une révolution, quand les événements se succèdent à un rythme accéléré, un parti faible peut rapidement devenir un parti puissant, à condition seulement qu’il comprenne lucidement le cours de la révolution et possède des cadres expérimentés qui ne se 21/08/08 Université d’été 2008 de la LCR - Document n°3 sur la question du parti Page 4 sur 5 laissent pas griser de mots, ni terroriser par la répression. Mais il faut qu’un tel parti existe bien avant la révolution, dans la mesure où le processus de formation des cadres exige des délais considérables et où la révolution n’en laisse pas le temps. »

La transition vers nouveau parti. « Vous m’écrivez vos appréhensions sur le régime dans le nouveau parti : la transition de la vie close d’un petit groupe propagandiste à la vie d’un parti plus large n’est pas si facile. Je crois que quelques camarades dirigeants, particulièrement les membres du comité national, devraient consacrer une part importante de leur activité à cette tâche. Qu’est-ce que je veux dire par là ? Lé démocratie réelle présuppose un contact permanent avec la base, non seulement de manière formelle, mais aussi de manière informelle, surtout avant toute décision importante, mais aussi en temps normal pour avoir inspiration et critique nécessaire venant de la base. » (Trotski, lettre à Sara Weber, sept 1937)

Qu’est-ce que la démocratie du parti ?

Le respect le plus strict des statuts du parti par les organismes dirigeants (congrès réguliers, période nécessaire de discussion, droit de la minorité d’exprimer ses opinions dans les réunions du parti et sa presse, etc.).

Une attitude patiente, amicale, jusqu’à un certain point pédagogique de la part du comité central et de ses membres vis à vis de la base, y compris de ceux qui critiquent, et des mécontents, car il n’y a pas grand mérite à être « content de tous ceux qui sont contents de vous ». Quand en 1923, Lénine a demandé l’exclusion d’Ordjonikidzé du parti, il a très justement dit que les membres du parti qui ne sont pas contents ont le droit d’être turbulents, mais qu’un membre du comité central n’e a pas le droit. La méthode du terrorisme psychologique, y compris une façon hautaine ou ironique de répondre ou de traiter toute objection, toute critique ou tout doute – c’est précisément cette façon journalistique ou intellectualiste qui est intolérable pour les ouvriers et qui les condamne au silence.

L’objectif formel des régles de la démocratie ne suffit pas en lui-même. Le comité central comme les comités locaux doivent être en contact permanent, actif et non formel avec la base, surtout quand on et en train de préparer un nouveau mot d’ordre ou une nouvelle campagne, ou quand il faut vérifier les résultats d’une campagne terminée. » (Trotski, lettre à Cannon, oct 1937)

Savoir écouter d’abord. « Nous devons laisser plus d’initiative aux organisations locales. Quant au comité national lui-même, afin d’improviser, d’adapter, de choisir les méthodes et les formes les plus adéquats pour aborder nos nouvelles tâches, il serait fatal d’imiter un grand parti avec ses formes déterminées d’activité. Le pire de tous les bureaucratismes est le bureaucratisme d’un petit organisme qui sacrifie les tâches pratiques à une apparence extérieure (…) Un responsable de parti révolutionnaire doit avoir en premier lieu une bonne oreille, et en second lieu seulement une bonne langue » (Trotski, lettre à Cannon, 1937)

Sur le centralisme démocratique. « Je ne pense pas qu’il me soit possible de donner du centralisme démocratique une formule qui éliminerait une fois pour toutes malentendus et interprétations erronées. Un parti est un organisme actif. Il se développe au cours d’une lutte contre des obstacles extérieurs et des contradictions internes. La décomposition de la IIe et de la IIIe Internationale crée pour la Ive Internationale des difficultés sans précédent dans l’histoire. On ne peut les surmonter par une quelconque formule magique. Le régime d’un parti ne tombe pas tout cuit du ciel mais se constitue progressivement au cours de la lutte. Un ligne politique prime sur le régime. Il faut d’abord définir correctement les problèmes stratégiques et les méthodes tactiques afin de pouvoir les résoudre. Les formes d’organisation devraient correspondre à la stratégie et à la tactique. Seule une politique juste peut garantir un régime sain dans le parti. Mais cela signifie que la formule du centralisme démocratique doit finalement trouver une expression différente dans les partis des différents pays et à des étapes différentes du développement d’un seul et même parti. La démocratie et le centralisme ne sont pas dans un rapport constant l’une vis à vis de l’autre. Tout dépend des circonstances concrètes, de la situation politique du pays, de la force du parti et de son expérience, de l’autorité que sa direction a réussi à s’assurer. Avant une conférence, quand il s’agit de définir une ligne politique pour la prochaine période, la démocratie l’emporte toujours sur le centralisme. Quand le problème est l’action politique, le centralisme se subordonne la démocratie. La démocratie réaffirme ses droits quand le parti sent le besoin d’examiner de façon critique sa propre activité. L’équilibre entre démocratie et centralisme s’établir dans la lutte réelle. La maturité de chaque membre du parti s’exprime particulièrement dans le fait qu’il n’exige pas du régime du parti plus qu’il ne peut donner. Celui qui définir son attitude à l’égard du parrti à travers les tapes qu’il a personnellement reçues sur le nez est un piètre révolutionnaire. Il faut bien entendu lutter contre toutes les erreurs individuelles de la direction, les injustices, et le reste. Mais il faut évaluer ces erreurs et ces injustices, non en elles-mêmes, mais en rapport avec le développement du parti à l’échelle nationale et internationale. » (Trotski, 8 sept 1937)

Sur les conditions de discussion. « En règle générale, il n’est pas juste de commencer une discussion en menaçant de graves conséquences organisationnelles. Une discussion est une discussion. Une tentative pour se convaincre l’un l’autre. Le bilan d’une discussion peut faire apparaître des vues inconciliables et conduire à des mesures organisationnelles. Mais la perspective de telles mesures ne peut être tenue pour un argument. Vous citez des camarades qui disent que la moindre déviation du bolchevisme implique une rupture avec le bolchevisme. Cette affirmation est absurde. Un parti vivant ne peut approcher d’une politique relativement juste qie par approximations successives, c’est-à-dire, des déviations à droite et à gauche. C’est vrai également pour chaque membre du parti individuellement (…) Je suis d’accord avec vous que la pratique d’organisation ne découle qu’en dernière analyse de sa politique générale. En d’autres termes qu’elle a, dans certaines limites, une importance propre, qu’elle peut par conséquent influer en bien comme en mal sur la politique générale. Mais commence ici le point où je ne suis pas d’accord avec vous. Le régime du parti sera élaboré, corrigé, amélioré, pendant des années et des années, en liaison avec une politique correcte (…) Actuellement les éléments mûrs du parti doivent concentrer tous leurs efforts sur la question la plus importante, surmonter le danger sectaire. » (Trotski, lettre à Burnham, 15 déc 1937)

Daniel BENSAID

Notes

[1] Il s’agit de l’Alliance internationale de la démocratie socialiste, fondée en octobre 1868 à Genève par Bakounine.

[2] Meuros est un personnage de la ballade Die Bürgschaft de Schiller.

[3] Cf. Heine, Romancero, vol. 3 : Mélodies hébraïques.

[4] Au cours des années 1870, Bismarck inaugura une campagne anticléricale, appelée Kulturkampf par les libéraux bourgeois. En attaquant l’Église catholique, Bismarck visait en réalité le parti du Centre qui représentait les survivances et nostalgies des petits États anti-prussiens du centre et du sud de l’Allemagne.

[5] Un groupe de blanquistes, parmi lesquels figuraient Arnould, Vaillant et Cournet, quitta l’Internationale après le Congrès de La Haye en septembre 1872. Il publia ensuite à Londres une brochure intitulée Internationale et Révolution. A propos du congrès de La Haye, par des réfugiés de la Commune, ex-membres du Conseil général de l’International : cf. réédition dans Cahiers de l’Institut de science appliquée, Série M, nº 7, août 1964, pp. 162-176.

[6] Washburne avait, en fait, refusé d’intervenir auprès du gouvernement Thiers pour lui soumettre la proposition de la Commune, à savoir échanger le seul Blanqui contre l’archevêque Darboy et d’autres personnes prises en otage après que des Communards aient été fusillés.