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Pierre ROUSSET - La Chine du XXe siècle en révolutions

18 août 2008

jeudi 13 mai 2010, par Secrétariat jeune


Première partie – 1911-1949 ou de la chute des Qing à la victoire maoïste

Introduction

Il peut être utile, en introduction, de préciser ce dont ce texte traite – et ce dont il ne traite pas.

La Chine dont il est ici question est celle des Hans, l’ethnie majoritaire qui représente 92% de la population actuelle. Plus de cinquante minorités sont par ailleurs officiellement reconnues et certaines peuplent des espaces immenses à l’ouest et au nord du pays : à lui seul le Tibet historique s’étend sur un quart du territoire. Le Turkestan oriental (Xinjiang) et la Mongolie intérieure occupent aussi des positions géostratégiques de première importance.

Par bien des aspects, la question des « minorités » – des minorités au sein l’espace chinois s’entend, pas nécessairement sur leurs propres territoires – est très importante –, il suffit de rappeler ici les invasions mongoles (fondatrices d’une dynastie !) pour s’en convaincre. Mais, au XXe siècle, ces populations n’ont joué qu’un rôle marginal dans les luttes révolutionnaires de la Chine des Hans, à la différence de ce qui s’est passé dans d’autres pays de la région, comme le Vietnam ou les Philippines (sans même parler de la Birmanie). Or, c’est à l’analyse de ces luttes que ce texte s’attache.

La Chine des Hans elle-même offre une image contrastée. Celle d’une grande cohérence, d’une forte identité historique et culturelle d’une part. Celle d’une vivace diversité régionale d’autre part, favorisé par l’immensité du territoire : une seule écriture par idéogrammes (une puissante marque identitaire) sert de lien unificateur à des langues parlées très différentes (elles sont toutes tonales mais peuvent comprendre de 4 à 7 « tons » – ou plus suivant des experts qui ne sont pas d’accord entre eux) ; une civilisation du riz qui s’étend d’une zone chaude au sud à une région tempérée aux hivers rigoureux au nord-est (où l’on cultive… le blé).

Ainsi, l’unité de la Chine des Hans, qui apparaît pourtant si évidente, n’est pas « donnée » : elle a été et reste l’un des principaux enjeux des conflits sociopolitiques nationaux et internationaux contemporains.

La Chine du XXe siècle connait une importante variété de structures sociales. Le commerce international, le marché capitaliste et l’industrialisation ont tout d’abord bouleversé les régions côtières et quelques grands bassins fluviaux ; ils n’ont concerné que marginalement la Chine de l’intérieur. Le monde rural lui-même est contrasté, la grande propriété foncières existant dans certaines zones (au sud notamment) et pas dans d’autres (au nord-est notamment). Les mouvements sociaux sont donc pour une part façonnés par des réalités régionales fort différentes les une des autres. C’est pourquoi il est rare de pouvoir décrire ce qui se passe « en Chine » : on doit souvent préciser de quelles régions il est question, quitte à alourdir le style de l’écriture.

A cette complexité géographique, culturelle et sociale de la Chine des Hans au XXe siècle, ajoutons deux questions d’ordre plus générales.

La Chine appartient à une autre lignée de développement historique que l’Europe. Mêmes si les mouvements paysans se ressemblent, les notions utilisées pour analyser l’héritage de la féodalité européenne (aristocratie, hobereaux, etc.) ne peuvent rendre compte de l’héritage légué par la Chine classique : leur usage donne une fausse impression de familiarité. Malheureusement, pour diverses raisons (dont le dogmatisme stalinien), il n’y a pas de mots communément utilisés pour retranscrire les réalités chinoises. On emprunte donc des termes, comme celui de gentry pour nommer la propriété foncière « à la chinoise » (mi-petits lettrés, mi-propriétaires fonciers).

Autre problème, la Chine du XXe siècle est ce que l’on peut appeler une « société en transition » – ou plutôt une succession de deux sociétés de transition très différentes l’une de l’autre : schématiquement de 1911 à 1949 d’abord ; après 1949 ensuite. La première correspond à un pays passé (ou en train de passer) sous la dépendance du capital international, où les structures sociales anciennes sont désarticulées sans pour autant disparaître et où de nouvelles forces sociales se constituent. On en a trouvé bien des variantes dans le « tiers monde ». La seconde correspond la situation née d’une révolution qui a brisé ce lien de dépendance vis-à-vis du capital international, mais où un nouvel ordre social stable (qu’elle qu’il soit) est encore bien loin d’être instauré.

Le but de ce texte est de proposer des éléments d’analyse des révolutions de la Chine du XXe siècle, pas de poursuivre un débat théorique sur les concepts (concernant la « nature » des partis, des pouvoirs, des révolutions…). Mentionnons seulement ici que trop souvent, le débat conceptuel ne tient pas assez compte de cette donnée fondamentale : nous avons à faire à des sociétés en/de transition. Il en devient trompeur. Mais même dans le domaine de l’analyse historique, cette question complique considérablement la tâche. Analyser, c’est faire apparaître un lien entre événements, processus, évolutions culturelles, couches sociales et mouvements politiques. La difficulté tient évidemment à ce qu’il n’y a pas de correspondances simples entre partis politiques, classes sociales, institutions, idéologies… Cette difficulté est démultipliée dans le cas des sociétés de transition où les « discordances » sont plus fréquentes que les « concordances » : les classes sociales se défont et se font, les partis sont souvent en évolution rapide, les institutions étatiques bénéficient d’une autonomie particulièrement grande, les références culturelles sont en crise…

Nous rencontrons ce problème tant dans l’analyse du Guomindang (Kuomintang) que dans celle du Parti communiste chinois – des deux côtés donc de la confrontation révolutionnaire des années 1926-1949.

De plus, dans un pays comme la Chine de 1911-1912, les structures de pouvoir sont multiples, entrecroisées et emboitées : divers niveaux administratifs, armées concurrentes, sociétés secrètes, clans familiaux, réseaux de clientèles, amicales régionalistes, corporations de métiers et guildes commerçantes… Les partis politiques ne sont que les derniers venus.

Là encore, l’analyse doit simplifier, pour ne pas se noyer dans l’infinité des nuances, sans pour autant gommer la complexité de la réalité. Comment être simple sans être simpliste ? L’exercice n’est pas aisé – et je n’ai pas toujours échappé au piège de la simplification à outrance.

La transcription. Encore un mot sur la transcription des noms chinois. Il y a eu, selon les périodes et les pays, plusieurs systèmes de transcription des idéogrammes chinois. Le gouvernement de la République populaire a mis au point, dans les années cinquante, le système pinyin : c’est celui-ci qui est aujourd’hui accepté comme norme internationale (bien qu’une autre transcription soit utilisée à Taiwan).

Dans la plupart des cas, les noms propres transcrits en pinyin sont aisément reconnaissables. Par exemple, le parti Kuomintang (KMT) est devenu Guomindang (GMD), Mao Tsé-toung est devenu Mao Zedong, Chou En-lai est devenu Zhou Enlai ou Liu Shao-shi est devenu Liu Shaoqi (en chinois, le nom de famille précède les prénoms). Mais dans d’autres cas, le pinyin est très éloigné de la transcription usuelle en français qui s’attachait parfois à une prononciation cantonaise, alors que le pinyin part du mandarin. Pour faciliter la lecture, la version française traditionnelle été conservée pour les noms propres les plus connus : Pékin (Beijing en pinyin), Canton (Guangzhou), Nankin (Nanjing), Confucius (Kong Zi), Sun Yat-sen (Sun Zhongshan) ou Chiang Kai-shek (aussi orthographié Tchang Kaï-chek, ou Jiang Jieshi en pinyin).

I. La Première Révolution chinoise : 1911 ou le prélude

La dynastie des Qing (prononcer « T’sing ») a été fondée en 1644. Les Qing ou Mandchous, venus du nord, se sont « sinisés », culturellement absorbés, après avoir conquis le pays. A la fin du XIXe siècle, le régime impérial est à bout de souffle. Il a dû faire face à d’immenses soulèvements paysans, dont en 1850-1864 la révolte des Taiping (« la Paix céleste »), et à des interventions militaires occidentales comme les guerres de l’Opium, ainsi nommées parce qu’elles visaient notamment à obliger la Chine à s’ouvrir au marché de la drogue produite dans les Indes britanniques. La culture du pavot et la consommation d’opium, assez répandues en Chine, avaient été interdites par les Mandchous. Mais à l’époque, pour les puissances européennes, les marchands de drogue n’étaient pas des trafiquants, mais de riches et respectables commerçants : presbytériens écossais et juifs de Bombay (Mumbay)…

Sous le règne de l’impératrice douairière Cixi, qui meurt en 1908, le régime s’est avéré incapable de se réformer. Il a dû signer les Traités inégaux et céder des territoires à la Russie, au Japon, à l’Angleterre, aux Portugais… Il n’est plus maître de fixer le montant des droits de douanes et les ressortissants étrangers échappent à la loi chinoise. Les Puissances profitent de ces privilèges d’extra-territorialité pour constituer des concessions étrangères sous leur contrôle dans de grandes villes : Shanghai, Tianjin, Hankou, Canton.

Le Double Dix. Le 10 octobre (« double dix ») 1911, quelques bataillons de l’armée se mutinent à Wuchang, dans le Hubei, au centre du pays. Ce soulèvement somme toute mineur déclenche une série d’événements qui se conclut par la chute de la dynastie impériale. Les provinces du centre et du sud proclament leur indépendance. Un gouvernement républicain provisoire est établi. Le 1er janvier 1912, Sun Yat-sen devient président de la nouvelle République. D’extraction populaire, paysanne, devenu médecin, il a fédéré dans la Ligue jurée les courants antimandchous. Mais il doit rapidement céder la place à Yuan Shikai, un militaire conservateur qui contrôle les principales forces armées ralliées au nouveau régime.

Yuan Shikai se retourne contre les républicains et tente de fonder une nouvelle dynastie. Mais il ne peut faire face aux pressions exercées par le Japon et se déconsidère. Il meurt en 1916. Le pouvoir se fragmente : le règne de potentats locaux, les seigneurs de la guerre à la tête de puissantes armées privées, commence. Replié à Canton, Sun Yat-sen, tente de refonder le projet républicain, mais il se trouve dans la position inconfortable d’un seigneur de la guerre dépourvu de moyens militaires.

La dynastie mandchoue a été renversée avant que ne débutent les grandes luttes révolutionnaires des années 1920. La Première révolution chinoise, appelée « républicaine », a sanctionné la faillite des élites traditionnelles qui avaient administré la Chine : les Lettrés, la « bureaucratie céleste » et ses mandarins…

De nombreux acteurs sont entrées en action à cette occasion : intellectuels de formation moderne gagnés à l’idée républicaine, militaires de l’Armée nouvelle, lettrés et mandarins réformistes, innombrables sociétés secrètes antimandchous venues du lointain passé chinois, bourgeoisie des « ports ouverts » (zones portuaires ouvertes aux Puissances)... Mais ils n’ont mobilisé que des forces sociales d’ampleur limitée et, au nom de l’ordre, les hommes d’affaires ont rapidement soutenu Yuan Shikai contre Sun Yat-sen. Dans une large mesure, la Première Révolution chinoise n’a été menée qu’au « sommet » de la société.

L’incertitude. Rétrospectivement, on connaît l’importance de la période ouverte en Chine par le renversement en 1911 de la dynastie des Qing : elle se conduit en 1949, près de quatre décennies plus tard, à la victoire d’une révolution communiste – un événement de portée historique. Mais à l’époque, l’avenir du pays apparaissait très incertain. Le pouvoir était morcelé. Sur le plan international, les Etats européens n’étaient pourtant pas en mesure de saisir cette opportunité pour imposer une domination coloniale sur l’Empire du Milieu : ils allaient bientôt entrer en guerre les uns contre les autres. Les nouvelles puissances impérialistes (Etats-Unis et Japon) n’étaient pas encore prêtes pour postuler à leur place à la conquête de l’immensité chinoise. Mais ce n’était que parti remise. La Chine semblait condamnée à être dépecée en zones d’influences nippo-occidentales.

Née dans les convulsions de la Première Guerre mondiale, la révolution russe de 1917 a montré qu’une alternative était possible : même dans un pays alors jugé « arriéré », le communisme pouvait être une réponse aux menaces de domination impérialiste – il permettait de sauver d’un même mouvement les pauvres et la nation. Cependant, la Chine n’était pas la Russie, loin s’en faut. Elle appartenait à un autre monde culturel et à une autre formation sociale, produits d’un un passé historique bien différent. Les mouvements politiques modernes, comme le Guomindang (Parti nationaliste, fondé par Sun Yat-sen à la suite de la Ligue jurée), n’en étaient qu’à un stade initial de formation : leurs traits constitutifs restaient à définir.

Le fait que la révolution européenne ait commencé en Russie plutôt qu’en Allemagne avait déjà constitué une surprise de taille pour les marxistes du début du XXe siècle. Le passage (encore hypothétique) du relais en Asie orientale représentait un véritable saut dans l’inconnu. Le marxisme russe offrait certes une matrice politique de référence aux premiers communistes chinois, car il avait déjà dû penser la révolution dans un pays à la structure sociale largement pré-capitaliste. Mais le communisme chinois restait pour l’essentiel à inventer. Pour ajouter aux incertitudes, durant ces quelques décennies de guerres civiles et mondiales, deux nouveaux acteurs sont entrés dans l’arène mondiale via la question chinoise. L’URSS d’une part qui, à peine née, a joué un rôle important grâce à son influence sur les mouvements politiques chinois. Le Japon impérial d’autre part qui a dévoilé ses ambitions asiatiques en voulant conquérir la Chine. Pour la première fois aussi, du moins à partir des années quarante, les Etats-Unis ont affirmé leur prééminence sur le théâtre d’opération Asie-Pacifique. Le jeu des Puissances en est devenu plus complexe.

Quelle modernisation pour la Chine ? La Première révolution chinoise s’est rapidement enlisée ; mais elle a concrètement posé la question de l’avenir : que sera la Chine de demain ? Comment la moderniser ? Les partis politiques qui tenteront d’y répondre n’existaient alors pas encore, si ce n’est à l’état embryonnaire. Mais ils prendront forme au lendemain de la Deuxième Révolution chinoise (1925-1927). Alors, le Guomindang d’un côté et le Parti communiste de l’autre, après s’être alliés contre les seigneurs de la guerre, vont se combattre violemment au cours d’une longue guerre civile. Ils s’affronteront frontalement sur cette question essentielle de la modernisation : modernisation capitaliste ou non ? Modernisation subordonnée à l’Occident ou pas ? Dans un pays « arriéré » comme la Chine, peut-on et doit-on sortir de l’équation : modernité = capitalisme ?

La crise de l’Empire du Milieu ne signifiait évidemment pas la disparition des rapports sociaux traditionnels, notamment dans l’immensité rurale. Le Guomindang s’en accommodait volontiers, pas le PCC. La révolution que ce dernier conduisit était sociale, menée à la fois contre l’ordre ancien et la volonté hégémonique affichée par la bourgeoisie chinoise. Elle était nationale, anti-impérialiste, visant à sauvegarder l’unité du pays et à garantir son indépendance. Elle portait aussi une vision de la modernité potentiellement en rupture avec les conceptions dominantes pour qui l’Occident capitaliste incarnait l’avenir du monde (« potentiellement » seulement, car le mouvement communiste restait à l’époque intellectuellement tributaire du modèle de développement des pays capitaliste « avancés »).

La recherche d’une « voie chinoise » a été, dès l’origine, l’un des enjeux des débats qui ont agité la nouvelle gauche révolutionnaire en constitution.

Le Mouvement du 4 Mai. Le nationalisme est né assez tardivement en Chine, en réaction à l’arrivée des Européens. « L’Empire du Milieu » avait longtemps été un pays plus « avancé » qu’« arriéré », sûr de sa suprématie régionale et considérant comme « barbares » les civilisations lointaines. Le choc culturel provoqué au XIXe siècle par l’arrogance et la puissance des impérialismes occidentaux n’en a été que plus profond.

Aux lendemains de la Première Guerre mondiale, le sentiment national s’est renforcé dans de nombreuses couches sociales, en particulier à la suite de l’indignation suscitée par les « 21 demandes » avancées par le Japon impérial en 1915 : commerçants, étudiants et intellectuels, ouvriers et employés des « concessions » étrangères… Il s’est exacerbé quand, lors de la Conférence de Versailles, en 1919, les Puissances ont rejeté les revendications de la délégation chinoise : les droits et privilèges allemands au Shandong n’ont pas été annulés au profit de la Chine, mais ont été transférés au Japon qui commençait à jouer un rôle de « gendarme de l’Extrême-Orient », y compris contre le pouvoir bolchevique en Sibérie.

Le Mouvement du 4 mai 1919 a surgit à ce moment dans la mince intelligentsia urbaine en voie de formation. Il a inauguré une période d’intense bouillonnement intellectuel où tout était objet débats : idéaux nationalistes et avenir de la Chine, tradition et modernisation, science et démocratie, patriarcat et condition féminine, libération des mœurs, ouverture au monde et protection du patrimoine culturel, philosophie des Lumières, anarchisme et socialisme…

Contre l’ordre dynastique ancien et contre l’emprise conservatrice du confucianisme, l’intelligentsia radicale s’est ouverte à la pensée occidentale (aux Lumières, au marxisme, souvent confondus…). Mais, dans un même mouvement, elle opposait l’identité nationale chinoise à l’impérialisme et aux prétentions culturelles de l’Occident. La modernisation de la Chine devait à ses yeux provenir d’un renouveau intérieur et non essentiellement de l’ailleurs occidental.

Marxisme et sinisation. Le milieu révolutionnaire chinois était alors pluraliste, avec des courants libertaires et anarchistes, ou socialistes non marxistes. Dans un premier temps, l’anarchisme est d’ailleurs bien plus répandu que le marxisme. Qiu Jin, une des premières féministes chinoises, est exécutée en 1907 pour complot antimandchou. En 1910, le procès de Wang Jingwei, accusé de participation à un attentat terroriste, a un tel retentissement populaire qu’il est acquitté. Cet anarchisme chinois a une importante dimension éthique : ne pas fumer, boire de l’alcool ou manger de la viande ; ne pas utiliser de domestiques, fréquenter les prostituées ou accepter de fonctions politiques…

Mais, l’influence de la révolution russe aidant, des figures clefs du Mouvement du 4 mai, dont Chen Duxiu et Li Dazhao, aident à la fondation du Parti communiste qui a tenu, en 1921, son premier congrès (il a 53 membres). Bientôt, après une décennie de convulsions sociales et politique, c’est la référence marxiste (elle même plurielle) qui va s’imposer dans le camp de la révolution.

La Chine est l’un des pays du « tiers monde » où la référence marxiste s’est le plus tôt et le profondément enracinée. Elle a dû, ce faisant, cesser d’être une idéologie « importée » et trouver des racines politiques et culturelles nouvelles, nationales, pour pouvoir « devenir chinoise ». Ce processus fondamental de « sinisation » a été facilité par l’existence, dans l’Empire du Milieu, d’un histoire étatique plus ancienne encore qu’en Europe (l’Etat central étant donc naturellement perçu comme l’enjeu des conflits), de vivaces traditions de luttes sociales (soulèvements paysans, sociétés secrètes…), d’une pensée militaire venue de la lointaine tradition de Sunzi (Sun Tzu) et d’une pensée dialectique (dans le taoïsme), d’une sociologie du pouvoir (dans le confucianisme), d’une conception de la légitimité impériale qui fait peu de cas des « lignées » (en cas de crise dynastique, le « mandat du ciel » peut échoir à qui l’emporte, fut-il roturier et étranger)…

Bien entendu, tout en s’en inspirant, les révolutionnaires chinois vont devoir combattre aussi l’héritage socioculturel du pays et ses puissantes traditions conservatrices dont leurs adversaires vont faire bon usage. Mais ils ont su opérer la greffe communiste dans la culture nationale.

Encore fallait-il pour cela qu’ils survivent à la contre-révolution de 1927.

II. La Deuxième Révolution chinoise : 1925-1927 ou l’épreuve du feu

La Première Révolution chinoise avait commencé dans le centre du pays par un soulèvement militaire. La Deuxième a, en revanche, débuté dans le Sud, en 1925, sous l’impulsion d’une montée des luttes sociales et nationales. Sun Yat-sen était alors président du gouvernement révolutionnaire de Canton dont l’influence n’était que régionale. Une grande partie du territoire étant sous le contrôle militaire des seigneurs de la guerre, les révolutionnaires chinois avaient pour objectif de réunifier le pays dans le cadre d’une République. Mais de quelle république ?

Durant la révolution de 1925-1927 de nouveaux acteurs sociaux sont entrés en scène avec (en sus des classes rurales) un rôle important joué par des couches urbaines de la bourgeoisie et du (semi)prolétariat. Ainsi, au cours des années vingt, le mouvement national a été traversé par d’intenses conflits de classe. La Première Révolution avait clôt un chapitre de l’histoire chinoise, l’ère impériale. La Deuxième a ouvert le chapitre suivant : celui du lien entre guerre nationale et révolution sociale.

Mais que sont ces classes « modernes » ?

Bourgeoisie. Il n’y a pas « une » bourgeoisie chinoise agissant comme un corps collectif. Il y a la bourgeoisie bureaucratique d’Etat, la riche gentry rurale dans l’arrière-pays, les compradors (servant d’intermédiaires au capital étranger), les manager-commerçants, les entrepreneurs…

A la fin du XIXe siècle, le secteur industriel moderne est encore très faible, adossé aux chantiers navals et aux activités des « ports ouverts ». En 1879-1896, le « mouvement des Affaires à l’occidentale » cherche à moderniser l’industrie, les mines, les transports et les finances. Les entreprises mixtes (associant mandarins-administrateurs et marchands-gestionnaires) se développent. Mais, confronté à l’instabilité sociale et politique du pays, la tentative de modernisation industrielle de la fin du XIXe siècle échoue.

Le développement industriel reprend vers 1910 avec la construction (tardive) de chemins de fer et l’arrivée de capitaux étrangers. Puis, la Première Guerre mondiale crée des conditions favorables à un essor de la bourgeoisie chinoise : « l’industrialisation de substitution » comble une demande à laquelle l’étranger ne peut plus répondre. Durant les années d’après-guerre, les besoins de la reconstruction sont considérables. Les entreprises privées prennent le pas sur les entreprises publiques ou mixtes. Le secteur bancaire se développe. Une multitude de petites entreprises sert de base à la formation de quelques grands groupes. Les années 1911-1927 sont considérées comme « l’âge d’or » du capitalisme chinois.

Prolétariat. Une classe ouvrière se constitue dans les nouveaux secteurs industriels : traitement du coton (métiers à tisser mécaniques), meuneries et rizeries (où le riz est décortiqué), huileries, soieries, usines de cigarettes et d’allumettes… Industries mécaniques de Shanghai, de Hongkong et du Guangdong, métallurgie lourde du Moyen-Yangzi et de la Mandchourie …

En 1915-1920, la classe ouvrière est estimée à 650.000 travailleurs pour toute la Chine et à 1,5 million au début des années vingt (pour au moins 250 millions de paysans). Issue de la plèbe des villes ou des campagnes, elle fait l’expérience traumatisante du déracinement et de l’exploitation sauvage. Elle reste infiniment minoritaire dans le pays : une grande partie de la production de textile et d’habillement provient toujours du secteur artisanal. Dans les centres urbains, le gros du semi-prolétariat est constitué de précaires, les coolies (manœuvres, journaliers, porteurs). Mais la classe ouvrière industrielle est aussi concentrée dans d’importantes entreprises qui, comme à Shanghai, compte plus de 500 ou plus de mille travailleurs.

Villes et campagnes. Dans le monde rural, l’effondrement du pouvoir central a contribué à rompre l’équilibre traditionnel du village. Le manque de terres arables, la pauvreté et le morcellement des propriétés aiguisent, dans biens des provinces, les tensions entre paysannerie et gentry, ou au sein même de la paysannerie entre plus riches et plus pauvres. L’expansion capitaliste ne touche certes la Chine que de façon très inégale. L’immense arrière-pays évolue beaucoup plus lentement que les zones côtières, la vallée du Yangzi et la Mandchourie. Mais dans ces dernières régions, l’impact de la crise agraire se fait sentir alors que le prolétariat et le petit peuple des villes gardent encore de nombreux liens avec leurs familles résidant à la campagne. Or au début des années vingt, les capitaux et les produits occidentaux font un retour en force, concurrençant directement le secteur industriel chinois et réveillant des résistances nationalistes. Les conditions étaient réunies pour que les prochains soulèvements ruraux commencent, au moins localement, à se lier aux luttes urbaines.

Anti-impérialisme. Au début des années vingt, les tensions sous-jacentes étaient sociales, mais la conscience politique était dans la Chine côtière largement anti-impérialiste. Certes, les puissances occidentales, lors de la conférence de Washington en novembre 1921-février 1922, ont cette fois forcé le Japon a restituer le Shandong, mais elles profitent aussi du morcellement politique du pays et, en 1923, exigent un contrôle sur les chemins de fer. La position de faiblesse de la Chine est patente. Le Parti communiste est alors bien trop petit pour postuler à la direction du mouvement national. Ce rôle incombe au Guomindang, établi à Canton, autour du thème mobilisateur de « l’Expédition du Nord » : la réunification du pays à l’occasion d’une grande campagne militaire contre les seigneurs de la guerre et le gouvernement de Pékin, alliés aux Puissances.

Le Guomindang bénéficie du prestige de Sun Yat-sen, mais il est désorganisé, divisé. Il se tourne vers Moscou pour renforcer son organisation, recevoir un soutien financier, une instruction et une aide militaires. L’offre de collaboration chinoise tombe à point nommé pour la direction soviétique : depuis l’échec de la révolution allemande, les échéances révolutionnaires sont reportées sine die en Europe. L’horizon à l’Ouest étant bouché, l’importance géopolitique de la Chine à l’Est n’en devient que plus grande. Dans ce contexte, sur les conseils (ou plutôt les ordres) des envoyés du Komintern, les membres du PCC intègrent malgré leurs réticences le Guomindang. Le troisième Congrès du Parti communiste entérine en juin 1923 cette tactique inhabituelle de « front uni de l’intérieur » ou « bloc du dedans » ; il a alors 420 membres. Le Guomindang (50.000 membres) fait de même en janvier 1924. L’alliance avec Moscou est scellée. Trois communistes, dont Li Dazhao, sont élus au comité central du Guomindang – six autres étant suppléants, dont le jeune Mao Zedong.

Malgré des débuts décevant, l’alliance nouée entre le Guomindang de Sun Yat-sen, Moscou et le PCC s’avère très dynamique. Après les déceptions de la révolution de 1911, elle redonne vie au mouvement national, formidable force latente dans ce pays de vielle civilisation unifiée devenue une semi-colonie à la souveraineté morcelée.

Le Mouvement du 30 Mai. Le 30 mai 1925 à Shanghai, la police, sous direction anglaise, tire dans la concession internationale sur des manifestants qui protestent contre l’assassinat par un contremaître japonais d’un ouvrier gréviste chinois, faisant de nombreux morts. C’est le début d’un immense mouvement de protestation anti-impérialiste. La solidarité avec les grèves de Shanghai s’exprime du nord au sud de la Chine. Le 23 juin 1925, les forces franco-anglaises tirent à leur tour sur une manifestation à Canton, tuant cette fois 52 personnes et provoquant la longue grève-boycott de Canton-Hongkong (elle a duré 15 mois). Un Comité central de grève est constitué, véritable « deuxième pouvoir » dans la région, des détachements armés surveillant les côtes. Nationaliste dans ses objectifs, le mouvement est prolétarien dans ses formes et populaire dans son assise, porteur d’une possible convergence des mobilisations urbaines et rurales dans certaines régions du centre ou du sud. Des Unions paysannes commencent à voir le jour sous le drapeau du Guomindang, avec l’aide de rares militants communistes actifs dans les campagnes. L’Expédition du Nord contre les seigneurs de la guerre débute en juillet 1926 : l’armée du gouvernement de Canton progresse rapidement grâce aux soulèvement de masse qui l’accompagnent.

Syndicats, unions paysannes et Parti communiste. Le mouvement syndical et le Parti communiste sont nés presque en même temps que le prolétariat chinois. Les marins de Hongkong ont mené une grève victorieuse en janvier-mars 1922. Le premier Congrès national du travail s’est réuni à Canton le 1er Mai de la même année (il annonce 300.000 membres). Les militants communistes, bien que très peu nombreux, sont présents dans la métallurgie, les arsenaux, les mines, le textile. Mais le mouvement syndical a rapidement reculé dans le nord du pays face à une violente répression. Il s’est en revanche renforcé au sud.

A partir de 1925, les syndicats, le mouvement paysans et le PC chinois prennent conjointement leur envol. En mai 1926, le troisième Congrès national du travail (où le rôle de Liu Shaoqi est important) annonce 1.240.000 membres et 2.800.000 en avril 1927. En mars 1926, Mao Zedong publie son Analyse des classes de la société chinoise. Le premier Congrès national du mouvement paysan se tient en avril de cette année et en 1927, l’influence du PC aurait touché environ 10 millions de paysans, surtout dans le Guangdong, le Hunan et le Hubei. En 1925, les effectifs du Parti communiste se montent à un millier pour dépasser les 57.000 à la veille de la contre-révolution de 1927. Nationaliste, le Mouvement du 30 mai 1925 avait commencé dans la métropole industrielle de Shanghai par une vaste mobilisation interclassiste avec la participation des syndicats ouvriers, des organisations étudiantes, des associations de petits commerçants et de la Chambre de Commerce (la grande bourgeoisie moderne). Mais les élites chinoises se sont rapidement inquiétées de la montée en puissance du mouvement populaire et de l’influence croissante des communistes. Sun Yat-sen est mort en mars 1925. Il laisse le champ libre à l’homme fort du Guomindang, le général Chiang Kai-shek (Jiang Jieshi), qui multiplie les mesures anti-communistes : proclamation de la loi martiale, désarmement des piquets ouvriers, arrestations de membres du PC, restriction des activités syndicales…

Il est dès lors clair qu’une épreuve de force décisive s’annonce au sein du Guomindang et du mouvement national. Chen Duxiu en informe l’International Communiste, demandant que le PC chinois sorte du GMD pour assurer son indépendance organisationnelle. A l’origine, la politique du « bloc du dedans » (le PCC intégrant le Guomindang) avait été formulée (contre l’avis de Chen) par le hollandais Henk Sneevliet (Maring) et reprise par Joffe (un ami de Trotski). Sneevliet s’était en fait inspiré d’une expérience précédente en Indonésie.

En 1926, cependant, au vu de l’évolution de la situation, Trotski et ses proches soutiennent la position de Chen Duxiu. Malheureusement, deux ans après la mort de Lénine, les luttes de fractions font rages au sein du parti soviétique. La « question chinoise » devient l’otage des conflits en cours en URSS. Sur les injonctions de Staline et Boukharine, l’IC repousse, lors de son plénum de novembre-décembre 1926, la formation de « fractions » de gauche communistes dans le Guomindang et toute perspective « sortiste ».

L’écrasement. A cette époque, le PCC n’est politiquement pas en mesure de rompre la discipline imposée par Moscou et l’IC. Il perd l’initiative alors que Chiang Kai-shek organise la contre-révolution. La défaite de la Deuxième Révolution chinoise se joue en trois actes sanglants, tout au long de l’année 1927.

Le premier acte est joué à Shanghai où, le 21 mars 1927, les syndicats et les communistes mènent une insurrection victorieuse. En conformité avec la politique de l’IC, ils ne s’opposent pas, par la suite, à l’occupation de la ville par les forces de Chiang Kai-shek. Le 12 avril, quelques 5.000 militants ouvriers sont massacrés par l’armée « nationale », les gangs de la pègre (la Bande verte) et les milices patronales. Le 21 mai, le Guomindang organise un nouveau massacre à Changsha. On estime à 10.000 le nombre de communistes tués en quelques jours dans la capitale du Hunan et ses environs. Le deuxième acte se joue à Wuhan, la capitale de la province du Hubei, dans le centre de la Chine. C’est là que siège, après une scission au sein de la direction du Guomindang, le gouvernement « de gauche » de Wang Jingwei, que Moscou soutient. Mais, le 11 juin, le gouvernement de Wuhan se retourne à son tour contre son allié communiste qu’il réprime violemment pour se réconcilier avec Chiang.

Le troisième acte se joue finalement à Canton. Devant l’évolution désastreuse de la situation, Moscou a brusquement décidé d’organiser une insurrection dans le sud du pays, le 11 décembre 1927. Isolée, la Commune de Canton ne peut tenir. La répression est une nouvelle fois féroce.

Une première expérience historique. Pour le mouvement révolutionnaire international du début des années 20, l’expérience dramatique de la Deuxième Révolution chinoise a constitué un véritable test historique sur les rapports entre combat national et combats sociaux dans un pays du « tiers monde », pour utiliser un terme anachronique. Un test d’autant plus significatif que, dans un premier temps, un large éventail de forces sociales s’était rassemblé face aux multiples pressions et aux exactions japonaises, anglaises ou françaises. L’évolution politique du Guomindang de Sun Yat-sen semblait ouverte, prometteuse, en alliance avec l’URSS. Le mouvement ouvrier lui-même avait pris forme au sein du mouvement national. Le travail de masse en milieu paysan s’était développé par le canal du GMD.

Pourtant, dès que le combat anti-impérialiste a pris de l’envergure –grâce aux mobilisations ouvrières, populaires et paysannes– les contradictions sociales se sont aiguisées au point de faire voler en éclat l’unité du mouvement nationaliste. Le Guomindang de Chiang Kai-shek devient l’instrument de la contre-révolution bourgeoise et les antagonismes de classes l’emportent sur l’urgence nationale.

La bourgeoisie chinoise soutient sans réserve la répression anti-communiste et plus largement anti-populaire menée par Chiang Kai-shek. Mais ce dernier établit une dictature népotique. Il relance le capitalisme d’Etat et n’hésite pas à soumettre les hommes d’affaires au chantage et à la terreur pour servir ses ambitions. Il ravive ainsi des fractures au sein des classes dominantes qui lui coûteront chères quand il devra faire face à la montée révolutionnaire qui suit la Seconde Guerre mondiale.

Pour l’heure, la répression du PCC inaugure des années de guerre civile.

III. La guerre civile sans fards : 1927-1935 ou la survie

Le Parti communiste chinois a payé un tribut très lourd à la contre-révolution. Dans l’ensemble du pays, de nombreux militants et des dirigeants centraux, comme Li Dazhao, ont été tués. Mais il garde encore des forces, grâce notamment aux insurrections de l’été 1927.

Les insurrections de 1927. La droite du Guomindang contrôle l’essentiel des forces armées nationalistes, mais l’influence communiste est parfois importante, comme dans IVe Armée, qui se rebelle le 1er août 1927 (célébré a posteriori comme la date anniversaire de la fondation de l’Armée rouge) : c’est le Soulèvement de Nanchang, dirigé par Zhou Enlai et les officiers procommunistes He Long et Ye Ting. De même, en septembre, une insurrection paysanne éclate dans le Hunan où se trouve Mao Zedong : c’est le Soulèvement de la Moisson d’Automne. Mao s’est replié dans les monts Jinggangshan, à la frontière du Hunan et du Jiangxi, où il est rejoint par Zhu De. Plus au nord, dans la région de Wuhan, Peng Dehuai commande lui aussi une force militaire significative.

En 1930, l’essentiel des forces communistes commandées par Mao Zedong, Zhu De, Zhou Enlai et Peng Dehuai se regroupent dans la nouvelle République soviétique du Jiangxi. Malgré une succession de défaites, elles comptent alors encore, dans l’ensemble du pays, quelque 300.000 soldats, ce qui donne la mesure de la radicalisation de 1925-1927. L’armée rouge est donc née de soulèvements de masse, de grandes luttes sociales et de rebellions militaires, et non pas de petites unités de guérillas ; c’est bien ce qui permet de comprendre sa longévité : après avoir été enfantée par la Deuxième Révolution chinoise, elle est devenue le fer de lance de la Troisième Révolution chinoise et de la victoire de 1949. Elle a ainsi constitué un trait d’union essentiel entre tous les grands épisodes révolutionnaires des années 1920-1940.

L’enjeu. Pour bon nombre d’auteurs, la défaite de 1926-1927 était inévitable : les conditions sociales d’une « révolution urbaine » n’étaient pas réunies et la situation n’était pas révolutionnaire à l’échelle de toute la Chine, loin s’en faut. C’est mal poser le problème. Un double pouvoir territorial est né dans le sud de la Chine à la suite de la Deuxième Révolution malgré les erreurs dramatiques d’orientation et malgré la violence de la contre-révolution. Si le PCC et Moscou avaient préparé dès 1926 l’affrontement annoncé avec Chiang Kai-shek, ce double pouvoir aurait pu naître dans un bien meilleur rapport de force.

Dans la pire des situations, les forces du Parti communiste ont tenu face aux armées blanches jusqu’en 1934. Dans une situation moins défavorable, elles auraient probablement pu tenir jusqu’au début de l’invasion japonaise du pays (1937). Le cours de la révolution chinoise en aurait été modifié.

Dans un pays immense comme la Chine, l’enjeu en 1925-1927 n’était pas le « tout ou rien » : soit la victoire d’une révolution communiste dans l’ensemble du pays (une hypothèse manifestement irréaliste), soit la défaite radicale. Comme la suite des événements l’a montré, ce qui était concrètement en jeu, c’était les conditions d’émergence d’une situation de double pouvoir dans une ou plusieurs régions du sud et du centre – et donc les conditions de la poursuite du combat révolutionnaire.

Les rapports entre le PCC et Moscou. En URSS, la fraction stalinienne a consolidé son pouvoir. Plutôt que de faire l’autocritique de l’orientation dont elle a imposé la mise en œuvre en Chine, elle a fait porter l’entière responsabilité des échecs aux seuls dirigeants qui se sont succédés à la tête du PCC entre 1927 et 1930 : Chen Duxiu, Qu Qiubai, Li Lisan… La condamnation officielle vient frapper un tout jeune parti qui s’est retrouvé au cœur d’une tourmente révolutionnaire quelques années seulement après sa constitution et qui a naturellement accordé sa confiance à ses camarades russes et aux envoyés de l’IC ! Le PCC est ainsi l’un des premiers partis à avoir été si directement confronté aux conséquences internationales du triomphe stalinien en Union soviétique. Quelle leçon tirer de cette amère expérience ? Chen Duxiu, l’une des plus grande figure survivante du marxisme chinois, rejoint (un temps seulement) l’Opposition de gauche internationale –le mouvement trotskiste–, fort de sa critique du processus de bureaucratisation de la révolution. Rentrant de Moscou pour prendre officiellement la tête du Parti communiste, Wang Ming reste pour sa part fidèle à la fraction stalinienne. Mais dans le Jiangxi, la nouvelle équipe dirigeante en train de se constituer autour de Mao prend plus pragmatiquement ses distances par rapport aux Russes, convaincue que c’est dorénavant aux Chinois de décider de l’orientation en Chine. Le conflit entre les fractions Wang Ming et Mao va marquer l’histoire du Parti durant les deux décennies qui suivent. Elle débute très tôt, dans la République soviétique du Jiangxi. Mao en est élu président le 7 novembre 1931, mais les membres de sa fraction sont néanmoins écartés des postes de responsabilité en 1933. Ce n’est que deux ans plus tard, durant la Longue Marche, que la direction maoïste consolide son emprise. Entre temps, l’Armée rouge a dû quitter ses bases du sud de la Chine.

La formation de la direction maoïste. De 1930 à 1934, Chiang Kai-shek mène 5 grandes « campagnes d’extermination » anti-communistes contre les zones contrôlées par le PCC, mobilisant d’énormes moyens militaires. Les bases du Henan, Hubei et Anhui doivent être assez rapidement évacuées. Mais celle du Jiangxi, où se trouve Mao, résiste. Ce n’est qu’en août 1934 que l’abandon de la base est finalement décidé. L’Armée rouge force le blocus : c’est le début de la légendaire Longue Marche, une véritable épopée mais aussi une retraite stratégique qui ne s’est terminée qu’en octobre 1935 dans le Shaanxi, au nord-ouest du pays.

Quand il a pris le départ, le corps d’armée où se trouvait Mao était fort de 86.000 soldats. Après un périple de 10.000 kilomètre, quand il a atteint le Shaanxi, il en comptait moins de 5.000. Grâce à l’arrivée de troupes venues d’autres régions, l’Armée rouge, finalement basée à Yan’an, se monte à 40.000 combattants, un chiffre dérisoire pour la Chine.

La nouvelle équipe maoïste s’est forgée dans l’épreuve, mais se divisera encore dans les années qui suivent. Elle comprend, autour de Mao Zedong, des dirigeants politico-militaires clefs comme Zhu De, Peng Dehuai, Lin Biao, Chen Yi ou le « dragon borgne » Liu Bocheng, ainsi que des « ralliés » de premier plan comme Zhou Enlai. Des cadres, opérant dans d’autres zones que le Jiangxi, l’intègrent ultérieurement. C’est notamment le cas de Deng Xiaoping et Liu Shaoqi.

Pendant que révolution et contre-révolution s’affrontaient dans le camp nationaliste, le Japon impérial renforçait ses positions sur le continent. En septembre 1931, il envahit la Mandchourie, dans le nord-est, où il crée l’année suivante un protectorat : l’Etat du Mandchoukouo. En janvier 1932, les Japonais attaquent Shanghai dont ils brisent la résistance après trois mois de siège et un atroce massacre de la population. En 1933, ils occupent le Jehol et pénètrent au Chahar. Durant cette période, Chiang Kai-shek passe des accords avec Tokyo pour mieux concentrer ses armées contre les bastions communistes. Pour sa part, le PCC déclare (symboliquement) la guerre au Japon et présente la Longue Marche (en fait une retraite forcée) comme le moyen de se rapprocher des forces japonaises pour mieux se préparer à les combattre.

En pleine guerre civile, la question nationale est donc restée au cœur de l’actualité chinoise.

Le maoïsme n’existait pas encore au milieu des années vingt. Il s’est forgé en tant que courant politique distinct au feu de la Deuxième Révolution et des violentes confrontations qui ont suivi. Il a été nourri, à sa naissance, d’une formidable expérience de luttes urbaines et rurales ; d’une expérience politique riche et complexe, notamment dans les rapports entre le GMD, le PCC et l’URSS ; ainsi que d’une double expérience militaire à la fois précoce et ample contre les seigneurs de la guerre d’abord, dans la guerre civile déclenchée par Chiang Kai-shek ensuite. Il a vécu lien intime entre question nationale et question sociale. Il a éprouvé la violence sans merci de la contre-révolution et s’est trempé dans la défaite.

III. La résistance antijaponaise : 1937-1945 ou les feux croisés

Au sortir de la Longue Marche, la jeune direction maoïste était socialement et géographiquement marginalisée, repliée sur Yan’an. Mais, mûrie par l’épreuve, elle était en mesure de reprendre l’initiative politique dès que la situation le permettrait. Ce fut le cas quand, en juillet 1937, le Japon est parti à la conquête de la Chine. L’ancien Empire du Milieu risquait bien, cette fois, de passer entièrement dans la sphère d’influence de l’impérialisme nippon.

Il s’agissait aussi d’un tournant majeur pour la région : la Seconde Guerre mondiale a débuté cette année-là en Orient. Dans certains pays, le nationalisme pan-asiatique prôné par Tokyo a reçu une écoute temporairement favorable de la part de secteurs du mouvement national anticolonial. Mais en Chine, les armées impériales sont perçues comme une force brutale d’occupation. Le Massacre de Nankin – six semaines de tueries de décembre 1937 à janvier 1938 – reste dans les mémoires comme le symbole des atrocités commises par l’occupant. La nation attendait des partis chinois qu’ils fassent ensemble front contre l’envahisseur. La question des alliances était à nouveau posée.

En 1937, Chiang Kai-shek a assuré son contrôle sur l’essentiel du territoire chinois. Les seigneurs de la guerre sont militairement défaits ou intégrés au nouveau régime. Dans les villes, le mouvement ouvrier est durablement brisé, tant par les Japonais que par la bourgeoisie chinoise. Les cadres communistes sont décimés et les principaux représentants de l’Opposition de gauche incarcérés (Chen Duxiu, Peng Shuzi). Le Guomindang établit un régime dictatorial avec des traits fascisants autour du mot d’ordre « Une Doctrine, Un Parti, Un Chef ». Les nervis des Chemises bleues sèment la terreur. Chiang Kai-shek ne veut laisser aucun espace démocratique qui aurait permis aux mouvements sociaux de se reconstituer ou à une « troisième force » d’apparaître. Mais il ne réussit pas à porter au PC sous direction maoïste le coup de grâce. Un échec qui se révélera pour lui fatal.

Front uni et guerre civile. Le Guomindang ayant fait le vide politique, le conflit sino-japonais s’est mené à trois : l’armée nippone, les forces du Généralissime Chiang Kai-shek et le Parti communiste. Le GMD et le PCC ont bien formé en 1937 un Front uni antijaponais, mais cette fragile alliance n’a pas mis un terme au conflit de classes qui les opposait.

Deux guerres se sont mené simultanément et recoupées de 1937 à 1945 : une guerre de défense nationale contre l’invasion nippone et la poursuite de la guerre civile entre forces révolutionnaires et contre-révolutionnaires. Ni Chiang ni Mao ne sont dupes de l’alliance qu’ils ont nouée contre Tokyo. Tous deux savent que la question du pouvoir se posera en Chine dès le lendemain de la défaite japonaise. Ainsi, en pleine période de « front uni », de violents combats opposent parfois les « blancs » aux « rouges ». En janvier 1941, l’« Incident du Sud Anhui » montre jusqu’où cet antagonisme peut mener : une colonne communiste forte de 9.000 soldats est décimée par le Guomindang. Victoire militaire, la bataille du Sud Anhui coûte politiquement très cher à Chiang Kai-shek : au vu de l’opinion publique, il a massacré des combattants nationalistes montant au front contre l’occupant nippon !

Chiang Kai-shek a une conception de la résistance antijaponaise très rationnelle par rapport à ce que l’on doit bien appeler son « point de vue de classe ». Il veut préserver au maximum ses forces militaires et affaiblir celles du PCC pour se retrouver en position favorable quand la défaite nippone laisserait les deux armées chinoises face à face. Il utilise à cette fin l’immensité du territoire chinois, reculant progressivement devant l’avancée des troupes japonaises : il perd certes de l’espace, mais pour gagner du temps. Cette stratégie est confortée par l’entrée en guerre des Etats-Unis en 1942 : Tokyo sera défait dans le Pacifique par les Alliés ; raison de plus pour économiser ses forces en Chine.

Le talon d’Achille de la stratégie du Généralissime est politique : il combat certes, mais recule face aux Japonais, laissant la population sans défense, alors que les guérillas communistes tiennent bon et s’infiltrent dans les arrières ennemis pour mieux organiser, auprès du peuple, la résistance à l’occupant. L’opinion nationaliste bascule progressivement en faveur du PCC.

Chiang Kai-shek sous-estime aussi l’efficacité de la stratégie alternative mise en œuvre par la direction maoïste : la guerre populaire prolongée.

La guerre populaire. En Chine, la guerre civile précède de plusieurs décennies la conquête du pouvoir alors qu’en Russie, elle lui avait succédé. La structure sociale des deux pays est par ailleurs fort différente. Dans quelle mesure faut-il donc s’inspirer de l’expérience de l’armée rouge soviétique – ou plutôt des traditions nationales de guerres paysannes ? Dès 1932, les débats d’orientation sur la « voie chinoise » prennent, à la direction du PCC, la forme d’une longue controverse militaire ou les tenants de « l’orthodoxie russe » s’opposent « l’archaïsme chinois » des références de Mao Zedong. Ces débats ne sont ni simples ni figés et certains des critiques de Mao ont ultérieurement intégré son équipe de direction. Mais les désaccords de fond entre la fraction de Wang Ming et les maoïstes vont continuer à se manifester durant toutes les années 1930 et 1940 : l’aile Wang Ming du PCC préconise une politique militaire plus conventionnelle et s’en remet plus à l’alliance avec le Guomindang.

On retient souvent de la stratégie maoïste que « la campagne encercle les villes ». Il ne faut cependant pas oublier que l’Armée rouge est née d’insurrections de masse (urbaines ou rurales) et des soulèvements militaires à l’époque de la Deuxième Révolution. Le repli sur Yan’an n’a pas été un choix politique « libre », mais une option imposée par la défaite. S’il l’avait pu, Mao aurait préféré tenir durablement des zones « rouges » dans le sud du pays et engager de là la résistance antijaponaise. Il cherche donc, au milieu des années 1930, à répondre à une question précise : comment, après une défaite majeure, préserver les forces sociales et militaires qui ont échappé au désastre, et comment dans ces conditions reprendre l’initiative ? Il donne à ces questions une réponse profondément politique – qui reflète un autre « point de vue de classe » que la stratégie de Chiang Kai-shek.

Le redéploiement des armées communistes vers le nord du pays illustre concrètement ce point. A la fin des années 30, la direction maoïste prend une décision très audacieuse : étendre le réseau communiste à l’échelle nationale, mais envoyer le gros des moyens militaires en Chine du nord, derrière les lignes japonaises, quitte à dégarnir ses bastions traditionnels. Elle tient compte de considérations tout à la fois tactiques et stratégiques, politiques et sociales. Le recours à la mobilité des partisans et à la grande flexibilité opérationnelle d’une guerre de guérilla permet de s’opposer à un ennemi bien armé. L’Armée rouge peut opérer dans ces provinces septentrionales sans entrer en conflit direct avec les forces de Chiang Kai-shek, restées en deçà des lignes nippones ; et elle en profite pour liquider discrètement le pouvoir résiduel du Guomindang. Face à la brutalité de l’occupation japonaise, elle gagne rapidement une base de masse, même dans des zones où elle ne possédait pas auparavant d’organisation. En répondant aux revendications des paysans, elle transforme la guerre de défense nationale en une véritable « guerre du peuple », lui donnant par là une force considérable. Le Parti communiste constitue ainsi de nouvelles zones libérées, de fait sous son contrôle exclusif.

Le PC a risqué très gros en redéployant si radicalement ses corps d’armée : le Guomindang en a profité pour prendre l’offensive dans les régions dégarnies et a même pu (en 1947) occuper Yan’an, la « capitale de guerre » des communistes. Mais les maoïstes ont beaucoup gagné. Leur conception de la guerre populaire prolongée, dans les conditions chinoises de l’époque, leur a effectivement permis d’accumuler d’importantes forces militaires, sociales et politiques. En 1945, au moment de la capitulation du Japon, les zones libérées qu’ils contrôlent incluent déjà près de 100 millions d’habitants. Elles reconstituent un double pouvoir territorial face au régime de Chiang Kai-shek.

La résistance antijaponaise permet au PCC de préparer la victoire de la Troisième Révolution chinoise.

IV. La Troisième Révolution chinoise : 1946-1949 ou la guerre-révolution

Les armées japonaises se sont enlisées et épuisées dans leur tentative de conquête de la Chine. En mettant essentiellement l’accent sur la bataille du Pacifique et l’intervention des forces américaines (voire britanniques et australiennes), nombre d’auteurs occidentaux sous-estiment le rôle tout aussi essentiel de la résistance chinoise dans la défaite de Tokyo. Mais la capitulation japonaise a été précipitée par l’anéantissement nucléaire d’Hiroshima et Nagasaki (des crimes de guerre s’il en est !). Les états-majors chinois ont été pris de court par la rapidité des événements. Toutes les forces en présence ont engagé une course de vitesse pour renforcer leurs positions en prévision de l’effondrement nippon.

Après Hiroshima. Le 6 août 1945, une première bombe atomique frappe Hiroshima. Le 8 août, l’URSS entre en guerre contre le Japon et pénètre en Mandchourie. Le 9 août, Mao appelle à une « contre-offensive générale » contre les Japonais en vue, notamment, de s’emparer de leur armement. Le 14, Tokyo signe la reddition. Dans la foulée de la capitulation, le Commandement allié ordonne aux troupes japonaises stationnées en Chine de ne se rendre qu’au Guomindang. Les forces de Chiang Kai-shek étant positionnées dans le sud-ouest du pays, d’énormes moyens aéroportés sont mis en œuvre par les Etats-Unis pour les transférer rapidement dans les provinces centrales et septentrionales, empêchant les communistes de conquérir les principaux centres urbains. Le GMD ainsi aidé récupère l’essentiel du butin de guerre nippon.

Malgré l’intervention américaine, le PC réussit à étendre ses zones libérées. Il concentre des forces en Mandchourie – où cependant les Soviétiques occupent le terrain jusqu’en 1946. C’est Moscou qui reçoit la reddition japonaise et en profite pour faire main basse sur l’outillage industriel de cette région riche en investissements nippons ! Moscou laisse aussi le Guomindang reprendre le contrôle des grandes villes. Mais le PCC renforce son implantation et son armement.

Parallèlement à cette course de vitesse engagée dans des conditions inégales entre le GMD et le PCC, des négociations de paix s’ouvrent entre les deux partis. Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, les rapports de forces ont atteint un point d’équilibre instable. La population aspire à la paix et chaque parti politique doit démontrer que la reprise de la guerre civile serait de la responsabilité de l’autre. Sur le plan international, les Etats-Unis et l’URSS négocient. Moscou a pris son temps pour se retirer de Mandchourie, mais, fondamentalement, la direction soviétique respecte les accords de Yalta selon lesquels la Chine, pays « tampon », appartient de fait à la zone mondiale d’influence occidentale (Staline, d’ailleurs, ne croit pas qu’une victoire communiste est alors possible en Chine). Les Etats-Unis appuient efficacement le Guomindang, mais ils ne sont pas en mesure de s’engager eux-mêmes dans une nouvelle guerre sur le continent. Chiang Kai-shek bénéficie d’une formidable puissance militaire ! Mais il lui fallait du temps pour se redéployer dans l’ensemble du pays : les premières attaques menées contre des zones du PCC tournent vite mal… Le retour à la guerre. Rétrospectivement, la reprise de la guerre civile apparaît inévitable, mais la négociation s’est imposé comme un moment nécessaire de la guerre. La bataille de la paix a été, pour un temps, un terrain essentiel de confrontation politique entre révolution et contre-révolution.

Les négociations de paix sont menées sous égide américaine. Malgré un début flamboyant, elles s’enlisent rapidement. Le retour effectif à la guerre civile commence dès mars-avril 1946. Les combats se généralisent durant l’été. Un an plus tard, l’Armée rouge (dorénavant appelée Armée populaire de libération – APL) prend l’offensive en Mandchourie. La débâcle nationale du Guomindang commence fin 1948-début 1949, après la défaite décisive essuyée par ses forces durant la bataille de la Huai (une rivière à la frontière des provinces du Shandong et du Jiangsu). Pour « verrouiller » l’accès à Shanghai, Chiang Kai-shek a regroupé plus de 500.000 hommes dotés d’un armement bien supérieur à celui des « rouges ». Les combats se terminent pourtant sur un désastre total pour l’armée du Généralissime.

A partir de ce moment, l’avance des forces communistes est irrésistible. Elles l’emportent en janvier à Pékin, en mai à Shanghai, en octobre à Canton, en décembre à Nanning (à la frontière du Vietnam). Sévèrement défait, le Guomindang se replie sur Taiwan, au grand dam des habitants de l’île. Alors que les combats se poursuivent encore dans le sud-ouest, la République populaire est proclamée le 1er octobre 1949. La victoire de l’Armée populaire de libération a été remarquablement rapide, alors que les rapports de forces militaires lui étaient au départ défavorables. C’est l’évolution des rapports de forces sociaux qui a permis aux communistes de vaincre ainsi : la guerre civile chinoise est belle et bien devenue une révolution sociale.

La paysannerie. Si le centre de gravité des luttes révolutionnaires en Chine s’est situé dans les campagnes, c’est pour une part la conséquence de l’écrasement des mouvements urbains dans les années 1925-1937. Mais c’est aussi et avant tout parce que 90% de la population est rurale ! Et parmi eux, 80% sont des cultivateurs. Le prolétariat rural –formé d’ouvriers agricoles, de vagabonds et de colporteurs si pauvres qu’ils ne peuvent souvent se marier– ne compte que pour 10-12% des ruraux.

Les paysans s’opposent d’abord à leurs exploiteurs directs : propriétaires, marchands, usuriers. Face aux agents extérieurs (représentants de l’administration, armées..), ils restent en même temps tributaires de solidarités « inter-classistes » de village, corporation ou clan, Les jacqueries paysannes n’en ont pas moins été endémiques en Chine, au XIXe et XXe siècle, laissant place à bon nombre de soulèvements généralement locaux et éphémères, mais nourrissant parfois des rébellions d’une très grande ampleur, dont la révolte des Taiping à l’idéologie égalitaire, syncrétique, nationaliste – voire moderniste et féministe.

Pour la première fois à l’époque moderne, à la suite du moins du cas assez particulier des Taiping, les luttes paysannes des années 1920-1940 se voient intégrées, par-delà même la conscience des intéressés, à des conflits dont l’enjeu est proprement national : un enjeu qui touche au cœur l’Etat et la structure de classe de la société dans son ensemble. Pour la première fois aussi, avec leur incorporation dans l’Armée rouge, des centaines de milliers, des millions de jeunes paysans sillonnent le pays, reçoivent une éducation politique, vivant une expérience sans précédent. En ce sens, le monde paysan est refaçonné par le PCC et la révolution.

Il n’y a pas toujours eu concordance entre le programme d’action du PCC, plus ou moins radical suivant les politiques fluctuantes d’alliance, et les mouvements paysans. Le parti a parfois semblé débordé par les mobilisations spontanées d’une paysannerie pauvre qui partait à l’assaut du ciel, alors qu’en d’autres lieux, ou à d’autres moments, il lui fallait déployer d’intenses efforts pour libérer les couches les plus démunies du village des liens de sujétion claniques. A partir de la fin 1945, la question de la réforme agraire (et non seulement de la réduction des loyers) a pris une place de plus en plus importante. En mai 1946, le mot d’ordre central de « La terre à ceux qui la travaillent » est lancé à l’échelle nationale. En septembre 1947, dans la perspective de la conquête du pouvoir, le PC fait adopter par une Conférence sur la terre le principe d’une Loi agraire abolissant le système d’exploitation « féodal et semi-féodal ». Il préconise des mesures très radicales qu’il doit ultérieurement modérer pour ne pas s’aliéner les paysans moyens.

La structure agraire variait considérablement en Chine suivant les régions, ce qui ne facilitait pas la définition d’un programme d’action. Là où la terre était particulièrement rare, les paysans pauvres se retournaient contre les paysans moyens, et non plus seulement contre les notables et les propriétaires fonciers. Le PCC a tenté de mieux ajuster sa politique dans le cours de l’année 1948. Toujours est-il qu’une véritable révolution agraire s’est amorcée dans le cours de la Troisième Révolution chinoise, puis s’est généralisée après la victoire. Dans bien des cas, au village, le changement de pouvoir a été radical, avec la désintégration de la classe des propriétaires fonciers et la marginalisation des paysans riches.

Une crise d’effondrement. Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, Chiang Kai-shek peut encore espérer stabiliser son régime dans les centres urbains de la côte. Mais son autorité s’effondre rapidement. Corruption, incurie, fractionnalisme et autoritarisme lui aliène l’opinion démocratique. Des étudiants initient une vaste campagne contre l’occupation américaine après que deux marines aient été accusés du viol d’une jeune Chinoise. L’inflation atteint des proportions gigantesques. Les classes moyennes et les fonctionnaires sont touchés de plein fouet. La « fuite » (vers Hongkong notamment) des hommes d’affaires commence dès 1946, bien avant la victoire communiste.

La classe ouvrière entre en lutte, manifestant une combativité qui lui a permis d’obtenir en 1946 l’échelle mobile des salaires. Manifestations et grèves se multiplient en 1947-1948. Cependant, le prolétariat urbain est alors beaucoup moins politisé que dans les années 1920. Le PCC a gardé un réseau militant dans le mouvement ouvrier, mais très affaibli. En revanche, les traditions corporatistes restent puissantes. Le régime de Chiang Kai-shek prend encore l’opinion nationale à rebrousse poil quand il semble prêt à entrer dans une nouvelle alliance internationale avec les Etats-Unis et… le Japon. Déconsidéré et haï, il perd politiquement la guerre dans les citadelles urbaines. La confrontation finale avec les forces communistes s’engage à l’occasion d’une véritable crise nationale, une crise révolutionnaire aiguë.

IV. Au sortir de quatre décennies de guerres et de révolution

Quatre décennies après la révolution chinoise de 1911 et la révolution russe de 1917, la Chine a changé de camp : c’est l’un des premiers (avec la Yougoslavie) et le plus grand des échecs de la conférence de Yalta. Un échec qui n’est pas l’œuvre de Moscou mais d’un parti qui, sans rompre avec la direction stalinienne de l’IC, a imposé son indépendance de décision et a élaboré sa propre orientation stratégique.

Un « communisme national ». D’un certain point de vue, Mao Zedong représente personnellement, jusqu’à la caricature, la formation d’un marxisme « sinisé ». Etudiant, il a beaucoup lu et travaillé sur les traductions d’auteurs européens, comparant les approches philosophies et les théories politiques classiques (ce n’est qu’à 26 ans qu’il commence à prendre connaissance du marxisme). Il dévorait la presse suivait avec attention l’actualité mondiale. Il a été soumis à de nombreuses influences intellectuelles et s’est intéressé à de nombreux courants d’idées, en particulier à l’anarchisme. Mais, malgré de louables efforts, il n’a jamais réussi à utiliser les langues étrangères. Il n’a pas voyagé en dehors de Chine (sauf, brièvement, pour rencontrer Staline) et cite plus volontiers les philosophes chinois que les pères du marxisme occidental. Il est en cela très différent d’autres personnalités majeures du marxisme asiatique, comme Ho Chi Minh qui incarne à la perfection la figure vietnamienne de « l’oncle Ho », mais a aussi fait ses armes politiques en France et dans le Komintern. Il ne faut pas oublier pour autant que l’équipe de direction maoïste comprend d’autres fortes personnalités que Mao et de fins connaisseurs du monde, comme Deng Xiaoping et Zhou Enlai. La « sinisation » du marxisme ne se réduit ni à Mao Zedong ni au maoïsme. D’autres personnalités –comme les fondateurs du PCC que sont Li Dazhao (assassiné en 1927) et Chen Duxiu (mort en 1942)– et d’autres courants (libertaires, Opposition de gauche…) ont contribué à l’assimilation de références marxistes en Chine et à leur enracinement culturel. Mais 25 années de guerres et de répression ont étouffé le pluralisme du mouvement révolutionnaire chinois. Le PCC sous direction maoïste est sorti seul vainqueur de l’épreuve. Dans ce succès, le rôle particulier, pivot, qu’a joué Mao est indéniable. Plus profondément, l’histoire du Parti communiste chinois dans les années 1920-1940 pose la question de ce que l’on peut appeler la formation de « communismes nationaux » – un processus que l’on retrouve dans d’autres pays, à commencer par le Vietnam.

Transformations rurales. La révolution maoïste présente bien des traits autoritaires et répressifs. La nouvelle direction du PCC s’est forgée dans un combat militaire permanent, sans merci – et, au sein même de son parti, dans d’intenses luttes de fractions. Elle s’est repliée dans des régions reculées, socialement très conservatrices. Elle s’est adossée à un « camp » international dominé par le stalinisme et a précocement opposé un culte de la personnalité de Mao au culte de Staline. Longtemps avant la conquête du pouvoir à l’échelle nationale, une mince bureaucratie politico-administrative s’est constitué dans les vastes zones libérées du nord.

La révolution maoïste a aussi été le produit d’intenses luttes sociales qui ont posé la question de la modernisation du pays du point de vue des classes dominées. Certes, rien n’est simple ou univoque dans la révolution chinoise. Le Parti communiste a « instrumentalisé » les mouvements paysans pour mieux les intégrer à sa stratégie nationale et à ses objectifs locaux (l’utilisation et la destruction des multiples réseaux concurrents de pouvoir). Mais les paysans (ou diverses couches paysannes) ont aussi « instrumentalisé » le PC pour défendre leurs intérêts spécifiques.

L’ordre traditionnel au village est ébranlé dans ses fondements. Que les paysans pauvres prennent la parole et une partie du pouvoir au village représente un acte révolutionnaire majeur. Il en va de même de la mobilisation des femmes dans le monde rural. En ce qui concerne la libération des femmes, la doctrine maoïste a varié suivant les périodes : fort libertaire à l’époque de la République soviétique du Jiangxi, beaucoup plus conservatrice à l’époque de Yan’an. Mais l’engagement des paysannes dans les luttes, la création de structures communistes féminines dans les villages, la multiplication des organisations de masse féminines ou les fameux « meetings d’amertume » durant les quels les villageoises accèdent à une conscience collective de leur oppression et affirment leurs revendications ont aussi une portée démocratique.

Les critiques (souvent justifiées) de l’autoritarisme maoïste ne doivent pas faire oublier cette importante dimension de la révolution agraire. Une dimension sanctionnée au lendemain de la victoire par l’adoption de deux lois phares par le nouveau régime : la loi sur la réforme agraire et la loi sur la famille. Sous le régime dictatorial du Guomindang aussi, la société chinoise évolue, mais il s’agissait essentiellement de la société urbaine. La condition des femmes aisées ou éduquées change. Mais la « révolution nationale » de Chiang Kai-shek ne peut s’attaquer à l’oppression du paysan pauvre ou de la villageoise, car il dépend dans le monde rural du pouvoir traditionnel des notables, de la gentry et des clans. La bourgeoisie (chinoise ou internationale) n’est pas anti-« féodale ». Dans les villes et les campagnes environnantes, le développement capitaliste dissout certes les rapports sociaux traditionnels, mais dans des conditions d’exploitation qui interdise à cette « libération » d’acquérir une dimension démocratique.

Tournant urbain. Pendant les années de guerre civile, il y a dans les villes d’importants mouvements d’opinion qui préparent la révolution de 1949 : mobilisations anti-impérialiste, évolution de l’opinion intellectuelle et nationaliste en faveur du PCC, rejet grandissant du Guomindang, identification d’une partie croissante des étudiants avec le combat de l’Armée rouge… Les communistes gagnent la bataille de la légitimité. Mais leurs réseaux sont trop faibles dans les métropoles urbaines pour organiser en profondeur les classes populaires. Autant le prolétariat se révèle combatif sur le plan revendicatif aux lendemains de la Seconde Guerre mondiale, autant il reste largement passif sur le plan proprement politique.

A l’approche de la victoire, le PCC prend un grand tournant politique. En mars 1949, Mao Zedong annonce que dorénavant, le centre de gravité de l’action communiste doit à nouveau se situer dans les centres urbains, alors que, de 1927 au début 1949, il avait été dans les campagnes. Il affirme dans son rapport du 3 mars au comité central : « Dès maintenant commence la période où la ville dirige la campagne ». Ce qui implique, souligne Liu Shaoqi, un énorme effort pour organiser la classe ouvrière : « Avant notre parti était étroitement lié à la classe ouvrière, mais ces liens se sont relâchés quand il a dû se retirer à la campagne, le Guomindang ayant alors tout le temps de renforcer son influence parmi elle et de semer la confusion. Le résultat maintenant est que nos cadres (et les membres du comité central) ont perdu l’habitude de travailler parmi les ouvriers et que ceux-ci leur sont devenus étrangers. C’est pourquoi nous devons nous mettre à l’étude… ».

Une seconde expérience historique. A son tour, comme en dans les années vingt (et plus encore), la Troisième Révolution chinoise a représenté pour le mouvement révolutionnaire international une expérience pionnière, soulevant des questions majeures sur les classes sociales des pays du « tiers monde », le rôle de la paysannerie, la pensée militaire, la formation de « communismes nationaux », les implications de la victoire du stalinisme en URSS, la stratégie et les alliances politico-sociales…

La trajectoire sociopolitique du PCC représente l’un des traits les plus étonnants de la révolution chinoise : obligé de se replier dans les campagnes, il est pour l’essentiel resté plus de 20 ans immergé dans le monde rural. C’est sur la paysannerie qu’il s’est appuyé pour poursuivre un combat commencé dans les villes. Malgré cela, et contrairement à bien des pronostics, il n’est pas devenu un « parti paysan ». Dès qu’il a repris pied dans les centres urbains, la ville a de nouveau « commandé », pour reprendre l’expression de Mao. Ce qui a permis au PCC de reconstruire un Etat à l’échelle du pays-continent qu’est la Chine. Et d’ouvrir un nouveau chapitre de l’histoire chinoise, celui du maoïsme au pouvoir.

Seconde Partie – 1949-1969 : crises et transformations sociales en République populaire

Avec la proclamation de la République populaire de Chine, le 1er octobre 1949, le Parti communiste chinois (PCC) se retrouve à la tête d’un pays grand comme trois fois l’Europe occidentale, fort de quelque 500 millions d’habitants.

En 1949-1950, une administration révolutionnaire provisoire se met en place chaque fois qu’un nouveau territoire passe sous contrôle de l’Armée rouge ; à savoir l’Armée populaire de libération (APL). Le PCC et l’état-major établissent des régions administratives et militaires Simultanément, à l’échelon national, la Conférence consultative du peuple chinois (CCPC) se réunit dès la fin septembre 1949 pour adopter un programme cadre.

La situation intérieure est favorable au régime révolutionnaire. Au sortir d’une longue succession de guerres –civiles et étrangères– la population aspire à la paix et s’en remet pour cela aux nouveaux dirigeants, alors que les mobilisations populaires en cours permettent d’engager une réforme en profondeur de la société. La situation internationale apparait plus indécise.

Ainsi, dès décembre 1949, alors que les combats avec le Guomindang (GMD) se poursuivent encore dans le sud du pays, Mao Zedong se rend sans plus attendre à Moscou pour y rencontrer Staline. L’URSS a certes été le premier pays à reconnaître la République populaire, mais elle n’a pas pour autant abrogé l’ancien traité d’amitié sino-soviétique, signé avec Chiang Kai-shek. Trois semaines durant, les deux chefs d’Etat ont joué au chat et à la souris avant que, début janvier, les Soviétiques acceptent de préparer un nouveau traité – finalement paraphé le 14 février 1950 par les ministres des Affaires étrangères Zhou Enlai et A. Y. Vychinski.

Après la victoire d’octobre 1949, la défiance est restée de règle entre les directions soviétique et chinoise. Mao a noté combien Staline méprisait leur expérience (« Il pensait que notre révolution était factice » a-t-il dit) et ne voulait pas s’engager trop avant aux côtés des Chinois dans le cas où ils seraient attaqués par les Etats-Unis. Pourtant, il revint en fait à Pékin de se porter indirectement au secours de Moscou. La guerre de Corée éclate en effet le 25 juin 1950. Elle tombe bien mal pour les dirigeants chinois qui souhaitent donner la priorité à la consolidation du régime, à la relance de l’économie (l’industrie est en ruine, la famine frappe les plaines centrales) et à la reconquête de Taïwan.

La guerre de Corée. Face à l’avancée des forces américaines en Corée du Nord, le bureau politique du PCC est divisé sur l’opportunité d’une intervention chinoise. Mais la décision est prise – et mise en œuvre quand les troupes US se approchent de la frontière nord. La contre-offensive chinoise est dirigée par Peng Dehuai. Après plus de quatre mois de combats meurtriers, la ligne de front se stabilise autour du 38e parallèle. Il faut encore attendre deux ans pour que l’armistice soit signé, le 27 juillet 1953. Les pertes chinoises s’élèvent à 800.000 tués ou blessés.

L’ombre portée de la guerre de Corée domine toute la période qui suit la victoire de 1949. La confrontation révolution/contre-révolution a une dimension internationale, les Etats-Unis construisant une ceinture de sécurité autour de la Chine, avec d’importantes bases militaires en Corée du Sud, au Japon (Okinawa), aux Philippines, en Thaïlande et au Sud Vietnam. Pour les Nations unies sous hégémonie US, il n’y a qu’une seule Chine : celle du Guomindang replié à Taiwan.

Face à l’impérialisme, la Chine s’adosse au bloc soviétique. Mais les graines du conflit sino-soviétique des années 1960 sont déjà plantées. Mao et la direction chinoise ont définitivement perdu confiance en Moscou, les promesses d’aide militaires de Staline pour soutenir l’engagement de Pékin en Corée n’ayant pour l’essentiel pas été respectées. Quant à la direction russe, elle a pris, à cette occasion, la mesure de la puissance et de la capacité d’indépendance chinoises.

Dans l’immédiat, la guerre de Corée a pour effet de désorganiser l’installation du nouveau régime et de durcir sa politique.

I. Le bouleversement social : 1949-1953

En Chine, la guerre de Corée suscite d’immenses manifestations anti-impérialistes. Des travailleurs donnent une partie de leur salaire et des paysans augmentent la production pour soutenir l’effort au front. Dans ce contexte, la campagne engagée par le régime maoïste pour liquider les contre-révolutionnaires prend un tour particulièrement violent. Sur une période de six mois, 710.000 personnes sont exécutées (ou ont été poussées au suicide) pour leurs liens plus ou moins étroits avec le Guomindang. Probablement plus d’un million et demi d’autres sont internés dans des camps de « réforme par le travail ».

Propriétaires fonciers et notables ruraux. La généralisation de la réforme agraire prend elle aussi un tour violent. Les paysans pauvres se rappellent l’arrogance, le mépris, l’avarice et l’inhumanité (à leur égard) de l’aristocratie foncière. Comment oublier la façon dont les gros propriétaires, commerçants et notables, ont provoqué des famines mortelles en spéculant sur les céréales – en refusant de rendre aux villageois affamés le riz afin de le vendre à profit en ville ? Comment oublier tous les militants des associations paysannes sommairement torturés et assassinés par la police, l’armée ou les hommes de mains des riches ? Comment oublier les enfants et adolescentes dont les seigneurs de la terre prenaient librement possession ? Certes, les rapports sociaux dans les campagnes ne sont pas partout aussi brutaux, mais dans l’ensemble, la domination du propriétaire sur le paysan a été sans merci. L’heure du règlement historique des comptes est arrivé.

Pour tenir compte de la complexité des stratifications rurales et d’une grande variété de situations géographiques, le PCC classifie les familles villageoises en cinq catégories, de sans-terre à grands propriétaires fonciers. Là où les divisions de classe sont peu développées –et où personne n’est réellement riche–, les tensions sociales n’en sont pas moins vives : du fait de l’extrême pauvreté subie par la majorité des villageois, toute inégalité est vivement ressentie. Dans ces régions, le Parti communiste prend pour cibles premières les notables et les réseaux de pouvoir clanique. Parfois, la répression frappe les paysans moyens ou même des paysans pauvres. En d’autres endroits, les divisions de classe sont beaucoup plus marquées, ayant donné naissance à la gentry. Le Parti communiste organise et encourage la tenue de réunions de masse contre les propriétaires, au risque « d’excès », selon ses propres termes. Mais la colère collective des paysans pauvres n’est pas feinte. La violence révolutionnaire dans les campagnes est sociale, bien plus que policière. Au-delà du règlement des comptes, elle fraie la voie à un véritable changement de pouvoir, au renversement de l’ordre ancien.

Dans la plupart des villages, un (parfois plusieurs) propriétaire foncier est tué, battu à mort sur place ou publiquement exécuté plus tard. De nombreux autres s’enfuient ou sont soustraits à la vindicte populaire pour être jugés. A la fin de 1950, la classe qui avait régenté des siècles durant le monde rural a cessé d’exister, du moins en tant que couche sociale cohérente. Bourgeoisie urbaine. Dans les centres urbains, aux lendemains de la conquête du pouvoir, bien que profonds, les antagonismes sociaux sont moins aigus que dans le monde rural. Par ailleurs, l’appareil du PC, issu de la guerre populaire rurale, est en 1949 bien incapable d’assurer la relance de l’industrialisation. Dans le cadre de la « Nouvelle Démocratie », il cherche à se concilier les entrepreneurs privés. Mais en 1952, la bourgeoisie se sent assez forte pour reprendre l’initiative contre le nouveau régime à coup de sabotages et en bloquant la mise en œuvre des politiques gouvernementales (refus des commandes officielles…). La lutte des classes reprend ses droits. Dès le 6 juin 1952, Mao Zedong annonce que les entrepreneurs deviennent la cible du combat politique.

Dans les villes, la refonte sociale prend la forme trois campagnes de mobilisation en masse, lancées par le Parti communiste. Les deux premières ont pour objet la pègre et les classes capitalistes, les élites bourgeoises : ce sont la campagne des « Trois Anti » (contre la corruption, le gaspillage et la bureaucratie) et la campagne des « Cinq Anti » (contre la corruption, l’évasion fiscale, la fraude, les détournements de fonds et la fuite des secrets d’Etat). Il ne s’agit pas d’opérations de police classique et la mise en œuvre de ces campagnes varie suivant les régions ou les fluctuants rapports de force entre fractions du PCC. La population est invitée à faire elle-même le ménage par une émulation de la délation : les travailleurs dénoncent leurs patrons, les cadres se dénoncent les uns les autres, les épouses dénoncent leurs maris et les enfants leurs parents. La pression psychologique est si forte que la majorité des pertes humaines ont été le fait de suicides plutôt que d’exécutions.

Les amendes infligées pour activités illicites aux sociétés privées durant ces campagnes s’élèvent à deux milliards de dollars américains – un montant colossal à l’époque. La majorité des gros commerçants et entrepreneurs se replient à Hong Kong (en y transférant leur outil de production) ou partent à l’étranger. La fuite des capitaux avait en fait commencé dès 1946 en opposition… au Guomindang, à son régime népotique et dictatorial ! Un certain nombre de grands capitalistes restent cependant en République populaire où ils bénéficieront parfois d’une situation individuelle très favorable. L’activité des micro-entrepreneurs (artisans, marchands ambulants, colporteurs…) est à la fois réprimée et tolérée par le régime.

Les capitalistes chinois n’ont pas été physiquement liquidés et certains ont collaboré à leur propre effacement social. Mais, à la suite de la campagne des « Cinq Anti », la bourgeoisie (commerçante et industrielle) a cessé d’exister comme classe cohérente, dominant le secteur moderne de l’économie. Sept ans après la victoire, en 1956, la nationalisation des industries et du commerce sanctionne sa disparition en tant force sociale autonome. L’Etat et, plus généralement, la structure de pouvoir du Guomindang s’étant précocement désintégrés, dans les centres urbains comme dans les campagnes, l’ordre ancien est déraciné.

Intellectuels. La troisième campagne –de réforme de la pensée– vise surtout les intellectuels des villes, en particulier ceux qui ont été formés en Occident. Elle rappelle dans sa conception le grand « mouvement de rectification » idéologique menée à Yan’nan durant les années de guerre pour consolider le pouvoir de la direction maoïste. Il s’attaque à l’individualisme, l’élitisme, l’indifférence à la politique et le pro-américanisme. Elle est menée sous des formes différentes de celles des « Trois » et « Cinq Anti » : par le biais d’autocritiques successives menées en petits groupes de discussion, combinés à la répression policière. De cette façon, les intellectuels se retrouvent fermement encadrés par le PC afin de ne pas constituer une élite sociale concurrente de l’appareil des cadres.

Le « critère de classe ». L’« origine de classe » devient un critère important pour accéder à l’éducation, à des postes politiques ou à des emplois recherchés. Cela n’a pas été sans effets pervers, les enfants de familles riches, ou « classées » comme telles, devenant éternellement « responsables » de ce qu’étaient leurs parents avant 1949. Mais le renversement symbolique des hiérarchies sociales a une portée idéologique très radicale dans une société où les classes « inférieures » ont été méprisées, jugées corvéables à merci.

De plus, il ne s’agissait pas que de symboles : parallèlement à la désintégration des anciennes classes dominantes, le statut des classes dominées se modifie substantiellement et de nouvelles couches sociales se développent.

Paysannerie. Le fait que la paysannerie ait joué un rôle important n’était pas propre à la révolution chinoise : cela avait déjà été le cas en Russie. Bien avant la Longue Marche, le Komintern avait d’ailleurs enjoint le PCC de développer un travail paysan, mais s’était longtemps heurté à une sourdre résistance du bureau politique. L’activité rurale avait d’abord été le fait de militants marginaux comme Peng Pai, puis de Mao Zedong par le biais du Guomindang. Mais le PCC n’en est pas moins devenu la principale force politique organisant la paysannerie – ce qui n’avait pas été le cas en Russie où l’influence des Socialistes révolutionnaires, de courants anarchistes ou tout simplement des élites paysannes locales avait été beaucoup plus importante que celle des communistes. Voilà qui a permis au PCC d’agir dès les années 1930 de l’intérieur du village – et voilà où résidait la nouveauté ! L’une des deux premières grandes réformes adoptées par le nouveau régime, en juin 1950, est la Loi agraire : elle généralise à l’ensemble du pays la redistribution des terres déjà engagée dans les zones « rouges ». Cependant, aux lendemains de la conquête du pouvoir, le PCC se garde bien d’imposer une collectivisation forcée à la stalinienne. Il commence par la mise en place d’ « équipe d’entraide » préparant la création de coopératives de niveau « inférieure » et de taille relativement modeste. Cette démarche n’est pas sans rappeler celle que Lénine avait rétrospectivement envisagée dans l’un des derniers écrits qui constituent son « testament » critique et autocritique (« De la coopération », 4 janvier 1923) – une démarche qui permet de consolider le nouveau statut de la paysannerie pauvre tout en offrant plus généralement à la paysannerie un avenir dans la révolution (au lieu d’exiger qu’elle se transforme en ouvriers agricoles travaillant dans des fermes d’Etat). Mais, pour bloquer tout exode rural, les paysans n’ont pas le droit de changer sans autorisation de lieu de résidence.

Classe ouvrière. Avec la politique d’industrialisation rapide engagée par le régime maoïste, le poids de la classe ouvrière s’est considérablement renforcé : de 3 millions avant 1949 à 15 millions en 1952 et près de 70 millions en 1978. Le changement n’est pas seulement quantitatif. Un nouveau secteur industriel est né, dirigé cette fois par l’Etat, et avec lui, une nouvelle classe ouvrière au statut radicalement différent de celui qui avait prévalu avant 1949.

Recrutés dans le cadre d’une politique massive de salarisation (« bas salaires, nombreux emplois »), les travailleurs urbains bénéficient seuls du nouveau statut administratif « d’ouvrier et employé » : en règle générale, les paysans n’ont pas le droit de venir chercher un travail en ville. Une fois acquis, l’emploi devient un droit garanti. La faiblesse des salaires est compensée par des avantages sociaux : logements, ticket donnant droit à des céréales, financement des études des enfants, service de santé, magasins d’achat, garantie de l’emploi à vie, retraite… Chaque travailleur est assigné à une entreprise et à une unité de travail comme, en d’autres pays, les fonctionnaires sont assignés à un poste. Un ouvrier arrivant à l’âge de la retraite peut fréquemment transmettre son statut à un membre de sa famille. Bénéficiant d’importants privilèges par rapport au reste de la population (compte non tenu des cadres), la classe ouvrière a longtemps fourni une base sociale solide au régime.

Femmes. Les milieux progressistes chinois des années 20 avaient coutumes de dénoncer conjointement « l’oppression féodale » et « l’oppression patriarcale ». L’émancipation des femmes et la critique du conservatisme confucéen étaient considérées comme des dimensions essentielles de la modernisation du pays. De premières lois avaient été adoptées en faveur de l’égalité des sexes sous la République soviétique du Jiangxi. Le développement des organisations féminines avait été important durant les guerres nationales et civiles. Si bien que la Fédération démocratique des femmes, dirigée par le PCC, comprenait 20 millions en 1949 et 76 millions en 1956. Mais en 1957, il n’y a que 10% de femmes dans le PCC, pourtant de composition assez jeune (le quart des adhérents a moins de 25 ans).

En juin 1950, la loi sur le mariage est la première à être promulguée par la jeune République populaire. Cette nouvelle législation assure le libre choix des partenaires, la monogamie, les droits égaux pour les deux sexes et la protection (de manière au moins théorique, mais souvent assez concrètement) des intérêts légaux des femmes et des enfants. Elles s’oppose aux traditionnels mariages arrangés et permet le divorce administratif par consentement mutuel. Grâce aux mesures de réforme agraire, adoptées peu après, les femmes accèdent aussi à la propriété de la terre.

La mise en œuvre de cette législation s’est heurtée à de fortes résistances sociales, y compris au sein du PCC. Mais elle est soutenue par un important mouvement de femmes. Cadres et bureaucratie. Dans la durée, deux systèmes de pouvoir, parallèles ont été mis en place en Chine : l’administration et le Parti communiste. Les cadres occupant les postes de décision sont issus du combat révolutionnaire. Ceux d’entre eux dont la famille était à l’origine aisée ont sacrifié richesse et statut social pour le mener. Ce ne sont pas des privilégiés au même titre que les anciennes classes dominantes. Mais, ils bénéficient dorénavant de privilèges, même s’ils sont généralement modestes, et, surtout, d’un monopole presqu’absolu du pouvoir politique – presque seulement, parce qu’ils doivent bien souvent composer localement avec les exigences des ouvriers ou des paysans qui défendent leurs intérêts immédiats en utilisant leur force d’inertie, des résistances voilées ou en pénétrant subrepticement les nouveaux appareils de pouvoir.

Dès avant la victoire, les cadres ont constitué une mince « bureaucratie de guerre » dans les « régions libérées ». Après 1949, l’appareil politico-administratif s’élargit considérablement avec la reconstruction d’un Etat à l’échelle nationale, puis le développement d’un vaste secteur économique public. Cette nouvelle couche sociale occupe une place inédite dans la société chinoise, même si elle se substitue à l’ancienne bureaucratie militaire et civile du Guomindang et peut nourrir sa légitimité de la mémoire culturelle du mandarinat de l’Ancien régime. Elle prend rapidement consistance, donnant naissance à une élite dirigeante.

L’armée. Pour soulager la population, dès les années 30, les soldats ont été appelés à produire leur nourriture quand les circonstances le permettaient. Dans le cadre de la reconstruction d’après-guerre, le mouvement pour une économie autarcique au sein de l’Armée rouge, initié au début des années 40, se voit prolongé. L’armée joue un rôle essentiel aux lendemains de 1949 ; pourtant, elle a toujours occupé une place ambivalente dans les structures de pouvoir du maoïsme. Ossature de la lutte révolutionnaire, elle est la seule institution qui a résisté à toutes les crises, y compris la « Révolution culturelle ». Néanmoins, elle est restée jusqu’à la fin subordonnée aux instances de direction politique : si « le pouvoir est au bout du fusil », c’est toujours « le parti qui commande aux fusils », pour reprendre les formules de Mao Zedong. Ce rôle, à la fois central et subordonné de l’armée est caractéristique de la révolution maoïste.

II. Le Parti communiste

Le Parti communiste chinois est la colonne vertébrale du nouveau régime. A l’heure de la conquête du pouvoir, il compte 4.500.000 membres. Mao Zedong est tout à la fois Président de la nouvelle République, président du parti et président de sa commission militaire. D’autres dirigeants nationaux jouent un rôle fort important comme Liu Shaoqi – qui fit le lien durant la guerre avec les réseaux clandestins opérants dans les zones « blanches » sous contrôle des Japonais ou du Guomindang –, comme Chen Yun, l’économiste autodidacte, ou comme Zhou Enlai, diplomate et administrateur, fin connaisseur du monde.

Le régime est porté en 1949 par une dynamique révolutionnaire radicale. Cependant, en 1966, soit moins de vingt ans plus tard, il va être ébranlé jusque dans ses tréfonds par la crise paroxysmique de la mal-nommée « Révolution culturelle ». L’histoire tumultueuse de la République populaire durant ces deux décennies a donné lieu à bien des interprétations, parfois apologétiques, parfois critiques mais néanmoins progressistes, parfois franchement réactionnaires (en ce qu’elles considèrent la révolution illégitime). Comme expliqué en introduction à la première partie de cette étude, il ne s’agit pas de revisiter ici les débats « conceptuels » (la « nature de… ») suscités dans le mouvement marxiste par les révolutions du XXe siècle, mais de revenir sur l’analyse historique des bouleversements révolutionnaires en Chine – ce qui peut s’avérer un préalable utile à la reprise ultérieure de réflexions plus théoriques.

L’évolution du PCC. Vu la place qui fut et reste la sienne, l’évolution du PCC constitue évidemment un élément essentiel à la compréhension de la trajectoire des révolutions chinoises. De nombreux auteurs se contentent d’invoquer ici le caractère « totalitaire » du projet communiste, comme si son « essence » se réalisait dans ces révolutions. Il s’agit bien évidemment d’un grossier contresens : le projet communiste est émancipateur ; il faut donc prendre la mesure de l’écart entre projet et réalités. Mais il y a plus. L’invocation du « totalitarisme » semble souvent, aux yeux desdits auteurs, se suffire à elle-même ; comme s’il n’était plus besoin de chercher d’autres explications. L’analyse historique n’en reste pas moins indispensable – même dans le cas, par exemple, du nazisme, au projet effectivement totalitaire : pourquoi, comment est-il arrivé au pourvoir ? Que représentait-il ? Qu’est-il devenu ?... L’utilisation idéologique de la notion de « totalitarisme » est connotée à droite. Mais il y a, à gauche, une tentation « essentialiste » miroir, de caractère cette fois « sociologique ». L’appareil du parti ne serait pour certains que l’embryon de la bureaucratie qui ne serait – et ce dès la naissance même du nouveau régime – que l’embryon de la nouvelle classe dominante (ou de la « caste » qui lui en tient lieu). Tout aurait déjà été inscrit dans ses gênes, dès l’origine. L’histoire en devient étonnamment linéaire, « aplatie », homogène. Il suffit alors de décrire les étapes de l’inévitable cours des choses. Les processus historiques sont pourtant pétris de contradictions. C’est évidemment vrai de la transformation d’anciennes classes ou de l’émergence de nouvelles couches sociales (comme l’élite bureaucratique de la République populaire). Mais c’est aussi vrai de l’histoire d’un parti de la taille du PCC. Cette dernière échappe d’autant moins à la règle qu’elle s’inscrit dans de profonds bouleversements révolutionnaires. Ainsi, à l’heure de la victoire, le Parti communiste chinois entretient des rapports contradictoires avec la société ; et il est lui-même traversé de contradictions vivaces.

Une « contradiction interne » majeure. Au début des années cinquante, le PCC est encore le « parti de la révolution » : il a tissé des liens étroits avec d’importants secteurs des masses populaires, il a recruté ses membres et formé ses cadres dans le feu du combat, il a pour « mandat » la modernisation du pays et la réalisation des aspirations égalitaires… Dans le même temps, le PCC est aussi le « parti de la nouvelle élite » qui exerce le pouvoir politique et accroît progressivement ses privilèges sociaux. Cette tension entre « parti de la révolution » et « parti de la bureaucratie en constitution » n’est pas la seule qui traverse le nouveau régime ; il y a, à l’impasse ultime du maoïsme, des causes variées qui vont du poids du passé à l’idéologie du parti et aux pressions internationales. Mais, « tension interne », elle éclaire les crises successives qui éclatent du milieu des années cinquante à la fin des années soixante. Car en Chine, plus encore que dans bien d’autres pays, les contradictions sociales débouchent sur de violentes crises politiques.

A chaque crise, les liens tissés par le « parti de la révolution » avec certains secteurs de la société se distendent ou se rompent, tant et si bien qu’au début des années soixante-dix, il ne reste en quelque sorte que le « parti de la bureaucratie » (maintenant bien cristallisée). En vingt ans, la « contradiction interne » au régime s’est résorbée au dépend des classes populaires et en faveur de l’ordre bureaucratique.

La situation n’en devient pas pour autant stable : dès les années 1980, une nouvelle contradiction s’affirme rapidement dans l’espace historique libéré par l’épuisement de la dynamique révolutionnaire : entre le maintien d’un ordre bureaucratique et la (re)naissance du capitalisme. Comme on le sait aujourd’hui, c’est cette dernière qui s’est imposée.

Des questions politiques récurrentes. On peut évidemment –et fort légitimement– étudier l’histoire des vingt premières années de la République populaire sous de nombreux angles d’attaque, sous bien des éclairages. Mais s’attacher à la « tension » initiale entre « parti de la révolution » et « parti de la nouvelle élite » aide à décrypter l’évolution du régime de crise en crise. Elle permet de repérer quelques problèmes politiques centraux, récurrents, telle que la question de l’indépendance des mouvements syndicaux ou sociaux (via les conséquences de leur instrumentalisation) ; telle que la question des rapports entre légalité et démocratie socialistes (via les conséquences de l’absence de légalité socialiste) : ou telle que la question de la pluralité politique dans la révolution et du pluralisme des sociétés, y compris dites de « transition » (via les conséquences d’un régime de parti unique).

III. La rupture des Cent Fleurs

Au début et au milieu des années 50, le PCC débat de l’indépendance des syndicats et des autres mouvements de masse (comme la Fédération des femmes). Mais il réaffirme la direction directe du parti sur ces organisations, sans leur reconnaître d’autonomie politique. Certes, ces organisations ne doivent pas seulement aider la mise en œuvre des mesures édictées par le PC. Grâce à leur réel enracinement social, elles sont aussi censées faire connaître aux gouvernants l’état d’esprit, voire les doléances, de la population. Mais cette conception du cadre « à l’écoute des masses », d’une courroie de transmission à double sens, ne fonctionne pas, du moins en temps de paix.

Les Cent Fleurs. En 1954-1955, de fortes tensions apparaissent entre de nombreux intellectuels et le Parti communiste. Ce dernier y répond par la répression, incarcérant même de proches compagnons de route comme Hu Feng. La direction du PCC observe avec d’autant plus d’inquiétude les crises qui frappent en 1953-1956 les Etats d’Europe de l’Est (Hongrie, Pologne…). Elle se pose bien des questions sur les implications de la mort de Staline et du rapport Khrouchtchev au XXe Congrès du PC d’URSS. En 1957, Mao dénonce dans un même discours les survivances de l’idéologie bourgeoise et les pesanteurs du « style de travail bureaucratique » qui entravent le « développement socialiste ». Fort de sa légitimité et pour mieux faire pression sur l’appareil, il décide d’une libéralisation politique et culturelle en lançant le mot d’ordre « que cent fleurs s’épanouissent et que cent écoles rivalisent ». Il n’a pas prévu à quel point il allait être pris au mot !

En mai-juin 1957, le PCC devient en effet la cible d’un flot de critiques mettant en cause la qualité du recrutement de ses membres (ils sont alors plus de 10 millions), les privilèges dont bénéficient ses cadres et les abus dont ils sont coupables, l’autoritarisme de ses organismes, le rôle dominateur du parti. Les étudiants prennent rapidement le relais des intellectuels, dénonçant le dogmatisme de l’enseignement et exigeant le respect des droits constitutionnels : liberté de parole et d’expression. Le risque de contagion sociale existe : sur des dynamiques spécifiques, des grèves revendicatives éclatent dans des entreprises, encadrées par les syndicats, et un nombre significatif de paysans quittent les coopératives. En réponse à ce tourbillon revendicatif, le 8 juin le Quotidien du peuple dénonce « les fleurs vénéneuses et les mauvaises herbes ». A Wuhan, la milice ouvrière intervient brutalement les 12 et 13 juin pour rétablir l’ordre après deux jours de quasi-émeute.

Une « occasion manquée ». L’avortement des Cents Fleurs a eu de lourdes conséquences quant à l’avenir régime ; des conséquences plus durables que l’on aurait à priori pu le croire, compte tenu de l’éventail limité des milieux sociaux directement impliqués dans les événements. La violente répression a coupé le PCC d’un secteur important des intellectuels et des étudiants. Mais au-delà, bien des enjeux politiques concernaient en fait l’ensemble de la société. Ainsi, le principal dirigeant en titre (pas forcément en fait) de la Fédération des syndicats, Lai Ruoyu, a une nouvelle fois soulevé l’exigence de l’indépendance syndicale ; en vain. La question de la légalité socialiste, abordée dans les luttes, a été éludée par la direction du parti : la reconnaissance des droits civiques n’est alors conçue que comme affaire d’opportunité politique, pas comme un droit véritable.

Avec en arrière plan les récents bouleversements en Europe de l’Est, les Cent Fleurs posaient au fond la question de la nature et de la fonctionnalité de la démocratie dans une société de transition. C’était aussi l’occasion de rompre avec une tradition fortement ancrée dans l’histoire chinoise, bien antérieure à la révolution ou au maoïsme : la résolution des conflits socio-politiques dans la violence. Ainsi, des auteurs ont pu comparer l’ampleur des violences sous l’ancien régime impérial à celles des guerres de religions européennes et de ses massacres de masse : la plus grande révolte paysanne du XIXe siècle (celle des Taiping en 1851-1864) et sa répression féroce auraient ainsi fait quelque vingt millions de victimes.

A toutes ces questions, le régime maoïste a répondu par une fin de non recevoir. L’« occasion manquée » des Cent Fleurs s’est avérée d’autant plus couteuse que de nouvelles échéances, majeures, n’ont pas tardé à se présenter. IV. La collectivisation accélérée et le Grand Bond en avant En effet, à peine le mouvement des Cent Fleurs se terminait qu’une autre crise mûrissait déjà, d’une ampleur bien plus grande : elle a mis en cause les rapports entre le parti et la paysannerie, ainsi que les équilibres politiques au sein du PCC. Une « voie chinoise ». De nouvelles tensions sociales commencent à se manifester, en 1956-1957, dans les campagnes et les entreprises. Mauvaises récoltes provoquant un mécontentement paysan, pénibilité du travail poussant les dockers de Canton à entrer en grève… Dans l’ensemble, le régime accomplit des progrès indéniables et les mouvements de protestations restent localisés, mais ils constituent des signaux d’alerte. Faute d’expérience, le PCC a commencé par copier le modèle d’industrialisation lourde de l’URSS stalinienne. Il lui faut maintenant définir une « voie chinoise » mieux adaptée au poids massif de la paysannerie et à la densité démographique du pays (la Chine atteint les 700 millions d’habitants vers 1958-1960).

L’orientation économique élaborée en 1956-7 cherche à répondre à de véritables besoins. Sous peine de laisser se constituer d’immenses mégapoles autour des villes côtières (à l’image – en plus gigantesque encore – de ce que l’on connaît aujourd’hui en diverses régions du « tiers monde »), il faut éviter le modèle européen d’urbanisation et d’industrialisation nourries par l’exode rural. Or, malgré des contrôles sévères, un processus d’exode rural s’amorce spontanément, au point de créer des conflits entre migrants ruraux devenus travailleurs précaires et ouvriers urbains au statut reconnu.

La création de coopératives de grande taille, l’engagement des grands travaux, l’implantation d’infrastructures et de services à la campagne, d’industries dans les petites villes et les bourgs, doivent permettre d’assurer un « développement sur place », en évitant de trop grands mouvements de population. Une refonte sociale est amorcée. Pour faciliter l’embauche des femmes de nombreuses cantines sont créées dans les coopératives et sont accessibles à toute la famille, ainsi que crèches et des jardins d’enfants. Le thème de l’abolition du salariat resurgit. A en croire des thèmes idéologiques alors propagés, la Chine devrait devenir une vaste fédération de communes, largement décentralisées et autosuffisantes, mais vertébrées par le puissant appareil du PCC et de ses organisations de masse. La crise. Problème majeur : la direction du PCC assigne à cette nouvelle orientation des objectifs démesurés : « dépasser la Grande-Bretagne en 15 ans », selon la formule de Mao. Pour ce faire, le régime choisit de faire appel aux méthodes de mobilisation qui avaient réussi en temps de guerre. On retrouve ici la même tentation dans d’autres révolutions (russe, cubaine, vietnamienne…). En Chine, la politique du « Grand Bond en avant », menée à marche forcée, impose à l’administration et à la population des rythmes insoutenables. Elle ne laisse pas non plus le temps de préparer, de cordonner et de planifier les mesures économiques. Après de premiers succès, c’est le chaos et l’échec. La production micro-industrielle (fer, acier, outils…) s’avère de mauvaise qualité. Les récoltes et les transports sont désorganisés. En 1959, l’autorité de Mao commence à être mise en cause à la direction du parti, mais il fait taire les critiques en obtenant la destitution du prestigieux ministre de la Défense, le maréchal Peng Dehuai.

En 1959-1961, diverses régions du pays sont frappées de disettes et de famines meurtrières, aggravées par une succession de catastrophes naturelles. Un bilan tragique : peut-être vingt, voire trente millions de personnes trouvent la mort du fait des conséquences du Grand Bond.

La direction du PC n’a pas su réagir avant le désastre : en l’absence d’organisations de masse indépendantes et d’institutions politiques démocratiques, elle n’a pas perçu l’évolution de la situation. Les tensions entre le parti communiste et la paysannerie atteignent alors un point de rupture et des soulèvements se produisent en certains lieux. Tardivement, des mesures d’apaisement sont prises. En 1961-1962, on en revient – à l’initiative de dirigeants comme Peng Dehuai, Liu Shaoqi, Zhou Enlai et Deng Xiaoping – à une conception plus modeste des coopératives qui laisse place aux productions familiales et à des marchés libres ruraux. L’accent est mis sur le développement de l’industrie légère susceptible d’aider l’agriculture plus que sur l’industrie lourde.

Les conséquences. L’échec du « Grand Bond » percute la direction du PCC ; elle affaibli considérablement l’autorité de Mao Zedong et de sa fraction. Mao consent une demi autocritique. Il occupait au sommet du parti une place toute particulière due au rôle qu’il avait joué dans la lutte révolutionnaire, confortée par l’invraisemblable culte de la personnalité construit à partir du début des années 1940. L’appareil communiste réalise maintenant à quel point le Grand Timonier peut commettre des erreurs catastrophiques.

Au début des années 1960, l’autorité de Mao dans le parti et l’autorité du parti dans la société sont toutes donc deux très diminuées. En même temps, les tensions sociales se font toujours sentir, voire s’avivent. Facteur additionnel de crise, le conflit sino-soviétique s’aggrave rapidement à partir de 1958. Moscou retire ses experts de Chine, puis s’entend avec Londres et Washington pour signer un traité sur les essais nucléaires qui exclue la Chine. Aux yeux de la direction maoïste, l’URSS est en passe de devenir « l’ennemi principal » en lieu et place des Etats-Unis.

V. La « Révolution culturelle »

Dans ce contexte incertain, les conflits politiques au sein de la direction vont déborder le seul cadre du parti. Ainsi, en 1965, la confrontation devient publique sur le front culturel – d’où le nom de « Grande Révolution culturelle prolétarienne » (GRCP). Mais il s’agit de bien plus que cela. Toutes les fractions commencent à initier des mobilisations de masse pour renforcer leur main. Ce faisant, elles ouvrent la boite de Pandore. Les contradictions sociales alors à l’œuvre en Chine éclatent au grand jour, laissant place à une crise explosive qui fait littéralement voler en éclat une bonne partie de l’appareil d’Etat. Inégalités. Malgré des échecs, le pays a connu un développement économique et des progrès sociaux indéniables. Mais la révolution maoïste a suscité des aspirations égalitaires radicales. Or, les inégalités entre villages, entre ville et campagnes, entre secteurs sociaux restent importantes. Un grand nombre d’étudiants ne trouvent pas un emploi correspondant à leurs diplômes. Plus généralement, une nouvelle génération entre en activité. Des conflits opposent des paysans plus pauvres à des plus riches ou, dans les villes, des ouvrier à l’emploi protégé à des travailleurs précaires. Les privilèges et le pouvoir des cadres, l’autoritarisme de la bureaucratie, sont dénoncés. Ces contradictions se manifestent dans la rue ; avec une ampleur sans précédent depuis 1949.

Le milieu étudiant entre en ébullition à la mi-1966. De nombreux groupes s’attaquent à toutes les figures d’autorité : professeurs et intellectuels qu’ils jugent « révisionnistes », anciens bourgeois bénéficiant encore d’une rente privilégiée et responsables locaux du parti. Les « rebelles » se retournent contre le parti lui-même dont ils dénoncent le contrôle « fasciste ». Certains en appellent à la « grande démocratie » et à la « liberté ». En août, Mao Zedong en profite pour lancer le mot d’ordre « Bombardez les états-majors » – c’est une déclaration de guerre contre le numéro deux du PCC : Liu Shaoqi. Il lance les organisations de Gardes rouges et la création des Comités révolutionnaires. Il souhaite canaliser pour l’essentiel le mouvement dans les villes afin de s’en servir comme d’un bélier pour reconquérir la prééminence au sein de l’appareil et réorienter sa politique dans l’esprit du « Grand Bond ». Apogée et impasse. La crise déborde le cadre initialement prévu. Des hauts dirigeants du parti sont jetés en pâture aux Gardes rouges comme le maire de Pékin, Peng Zhen. En novembre, le mouvement s’étend à la classe ouvrière, échappant à son tour ça et là au contrôle de l’appareil. En décembre 1966-janvier 1967, la métropole industrielle de Shanghai est le théâtre de violents affrontements et d’une grève générale spontanée où les travailleurs précaires jouent un rôle important – c’est la « la Tempête de janvier 1967 », la « commune de Shanghai ». Les troubles s’étendent à la campagne. En juillet et août, les foyers de crises se multiplient, en particulier à Wuhan. Le PCC et l’administration se désagrègent. La direction du parti se divise violemment. Il y a de véritables guerres civiles locales. Mais la rébellion sombre elle aussi dans la plus grande confusion : la « Révolution culturelle » en tant qu’aspiration démocratique et sociale tourne en rond, sans boussole, sans débouché politique, minée par l’hyper-violence fractionnelle.

Aux yeux des dirigeants du PCC, toutes tendances confondues, il devient urgent de reconstruire le parti et l’administration en s’appuyant, pour cela, sur l’armée, seule institution à avoir gardé sa cohérence. Mais le retour à l’ordre prend du temps. Au printemps et à l’été 1968, les violences augmentent en bien des endroits. Au milieu de la confusion politique, certains groupes formulent encore des propositions radicales comme celui qui, au Hunan, dénonce la trahison de Mao et prône un système généralisé de « communes » démocratiquement élues, pour interdire la renaissance d’une « nouvelle classe de capitalistes rouges ». Mao Zedong en effet s’est rangé sans ambiguïté dans le camp du retour à l’ordre musclé. VI. La reconstruction d’un ordre bureaucratique En septembre 1968, par centaines de milliers, les anciens étudiants gardes rouges sont envoyés en rééducation par le travail à la campagne – ce sera le sort, en tout, de plus de seize millions de jeunes à la suite de la Révolution culturelle. Dans les usines, des résistances se poursuivent encore, obstinément. Mais il ne s’agissait plus que de combats d’arrière-garde.

Pendant des mois, les « rebelles » de la « Révolution culturelle » ont vécut l’expérience grisante d’une rare liberté d’action, voyageant à travers toute la Chine pour propager l’appel à la révolte. Certes, ils se sont aussi fait manipuler par les diverses fractions du PCC (et par Mao en particulier). Ils se sont engagés dans des violences aveugles et gardent le souvenir traumatisants d’actes irréparables commis contre des personnes âgées, dont de nombreux vétérans de la lutte révolutionnaire, accusées d’être des « révisionnistes », frappés, parfois torturés, contraints à d’humiliantes autocritiques. Mais ils ont acquis un esprit d’indépendance, des aspirations radicales, de l’expérience politique. Si beaucoup des anciens Gardes rouges se retirent de tout activisme, certains seront, dix ans plus tard, à l’origine du mouvement démocratique de 1978. Le PCC en ruine. Au sortir des années 1966-1968, le PCC est en ruine. Huit des onze membres du bureau politique sont en prison ou en rééducation. Neuf sur dix des responsables des grands services du Comité central sont écartés. Sur les 63 membres du comité central en exercice, 43 ont disparus et 9 ont été sévèrement critiqués. Il en va ainsi du haut vers le bas du parti. Seuls 53 des 279 membres du CC élus au VIIe Congrès sont réélus au IXe. Sur 45 premiers et seconds secrétaires provinciaux, seuls 9 se retrouvent dans les nouveaux comités révolutionnaires. Dans de nombreux endroits, plus aucune structure du PC ne fonctionne. L’appareil de cadres est reconstitué via de longs stages au sein des « Ecoles du 7 mai ». Mais il a faut plusieurs années pour reconstruire le parti à l’échelle nationale. La rupture est nette. Le IXe Congrès du PCC se réunit en 1969 sans pouvoir mettre fin à la crise. Un nouveau conflit oppose en effet Mao Zedong à Lin Biao, commandant en chef de l’armée, présenté hier encore comme le premier des maoïstes. Lin Biao meurt en septembre 1971, alors dit-on qu’il s’enfuie en avion vers l’URRS. Plus de cent généraux sont limogés. Ainsi, au début des années 1970, une grande partie des dirigeants historiques de la révolution chinoise ont été écartés : Liu Shaoqi (mort bannis en 1969), Peng Dehuai (torturé par des gardes rouges), Lin Biao, Deng Xiaoping… La voie est libre pour l’accession au pouvoir, après le Xe Congrès de 1973, du « Groupe de Shanghai », aussi appelé par ses adversaire la « Bande des Quatre » qui comprend Jiang Qing, la dernière épouse de Mao.

Le triomphe du Groupe de Shanghai n’est que temporaire. A l’arrière plan, le processus de normalisation des rapports sino-américains, spectaculairement engagé avec la visite de Nixon à Pékin de 1971 (en pleine escalade militaire au Vietnam !), n’est pas durablement remis en cause. La contre-révolution bureaucratique a fini de briser le dynamisme social hérité de 1949.

VII. Rétrospective : contraintes historiques et « possibles » non réalisés

Au milieu des années 1970, le discours idéologique de la Bande des Quatre n’a de « gauche » que l’apparence ; il est avant tout autocratique. En vingt ans, au fil des crises successives, les rapports entretenus par le PCC avec la population se sont qualitativement transformés. Le musellement des Cents Fleurs a coupé le parti d’une aile importante de l’intelligentsia. Dans de nombreuses régions, l’échec du Grand Bond a distendu ou modifié ses liens avec la paysannerie (tout en fracturant durablement l’appareil). La répression massive qui suit le retournement de Mao durant la Révolution Culturelle a brisé l’identification des secteurs radicaux des étudiants et (ce qui est nouveau) de la classe ouvrière à la fraction maoïste. Le maoïsme « historique » a sombré dans les délires du culte de la personnalité et la trahison des aspirations antibureaucratiques, égalitaires, qui s’exprimaient au cours des années 1960. Mao est politiquement mort en 1967-1969. Il est très malade au début des années 1970. Son décès physique, une décennie plus tard, en 1976, a laissé la Bande des Quatre en position d’accusée. De fait, le règne de Jiang Qing a préparé le retour au pouvoir de Deng Xiaoping et des autres « droitiers » survivants, tant sa dictature ossifiée a servis de repoussoir. Il est tentant de juger rétrospectivement que tout était écrit d’avance et que l’affaissement totalitaire de la révolution chinoise était inévitable. Le nouveau régime a en effet pris forme sous l’influence de puissantes contraintes historiques tant nationales (structure de classes et de l’économie, traditions politiques et culturelles, héritage des années de guerre…) qu’internationales (pression impérialistes, stalinisations de l’URRS, défaites des mouvements ouvriers européens…). Le premier travail de l’historien est d’expliquer pourquoi les choses sont ce qu’elles sont et, si le travail est bien mené, si donc il est convaincant, il est tentant de penser qu’elles ne pouvaient pas être autrement ! Il est en effet difficile de penser à posteriori comment les événements auraient pu être différents sans risquer de sombrer dans une réécriture idéologique de l’histoire (« si le parti avait eu le bon programme… »).

Il n’est pas facile de naviguer entre les écueils de l’histoire conçue comme une caisse enregistreuse pour qui le monde tel qu’il est devait être, et une histoire idéologique pour qui le programme est la norme et la réalité une déviation. Il reste néanmoins nécessaire de se poser la question rétrospective des « possibles alternatifs ». La victoire d’une révolution apparaît toujours improbable. Quel esprit posé aurait-il donné une chance à la révolution russe en 1915 ; ou à la révolution chinoise en 1936 ; ou à la révolution cubaine en 1953 ; ou à la révolution vietnamienne en 1946 face à la reconquête française, ou encore en 1965, face à la puissance économico-militaire des Etats-Unis ? Et pourtant, elles l’emportèrent, au moins temporairement – et la situation mondiale en fut plus d’une fois profondément modifiée. Ce ne furent pas des événements de petite importance !

Le combat révolutionnaire s’engage initialement dans des rapports de forces tellement défavorables qu’il parait voué à l’échec. Mais, pour peu qu’il prenne corps (et puisse prendre corps compte tenu des conditions prévalentes), il modifie radicalement les règles du jeu sociopolitique, exacerbant les contradictions de l’ordre dominant, ouvrant des brèches historiques insoupçonnées. Ce changement qualitatif des règles du jeu fait apparaître de nouveaux possibles ; il permet à des « carrefours historiques » jusqu’alors virtuels de s’incarner dans la réalité. Le propre de la lutte révolutionnaire est de rendre possible (mais pas certain, loin s’en faut !) l’improbable, voire l’incroyable.

La première leçon historique de 1949, c’est bien que la révolution est un « possible » qui peut effectivement se réaliser. La Chine du XXe siècle a connu plus d’un « carrefour historique » qui se sont conclu sur des défaites (comme en 1927-1934) ou des victoires (comme en 1949) révolutionnaires. Est-ce qu’un tel « carrefour » s’est à nouveau dessiné peu après la fondation du nouveau régime et la mort de Staline en 1953, qui aurait permis à la nouvelle société de transition de suivre un cours plus démocratique (en donnant un contenu populaire à ce terme) ? C’est évidemment difficile à démonter, quand il n’a pas pris pleinement forme et que l’occasion a pour l’essentiel été ratée. Mais il n’est pas besoin de conclure pour soulever la question, elle est suffisamment intéressante en elle-même. Beaucoup d’éléments relevés dans l’étude ci-dessus et la nature des crises successives pendant la décennie 1956-1967 tendent à le montrer.

Cependant, la partie ne se jouait pas qu’en Chine. Elle se jouait aussi en Europe de l’Est.

On touche ici à une question que je n’ai pour ma part jamais travaillée : la circulation des idées (au-delà des cercles dirigeants) au sein du mal nommé « camp socialiste » durant les années 1950, à l’heure où la domination du régime stalinien commence à être remise en cause. Comment les combats démocratiques et populaires se sont influencés d’une extrémité à l’autres de ce bloc géopolitique hétérogène ? Comment leurs dynamiques auraient-ils pu être affectées et leurs chances de succès renforcées, notamment par une reprise plus précoce des luttes de la jeunesse et du mouvement ouvrier en Europe de l’Ouest ? – Car on en revient toujours là : l’avenir des révolutions – de la Russie à Cuba en passant par le Chine et le Vietnam – se jouait pour partie dans les grands centres impérialistes (et réciproquement, bien évidemment).

Un « carrefour historiques » n’est pas seulement le reflet et l’enjeu de facteurs nationaux ou régionaux. Ainsi, les accords de Yalta et Potsdam, négociés en 1945 par Moscou, Washington, Londres et Paris, visaient à « geler » la situation aux lendemains de la Seconde Guerre mondiale, avec une reconnaissance réciproque des « camps » et de leurs zones d’influences. Contre la logique de Yalta, des « possibles » révolutionnaires ne s’en sont pas moins réalisés comme au Vietnam (révolution d’Août 1945), en Yougoslavie, en Chine. Mais d’autres se sont refermés, comme en Grèce et en France – ce qui notamment permis à l’impérialisme français d’envoyer un corps expéditionnaire reconquérir sa colonie asiatique, initiant trois décennies de meurtrières guerres contre-révolutionnaires en Indochine.

C’est ce type d’interactions internationales qui restent, pour moi du moins, à travailler pour mieux appréhender ce qui était effectivement en jeu en Chine dans les années 1950 en écho à la crise qui secouait le bloc soviétique, ou encore dans les années 1960, en rapport avec la vague de radicalité mondiale symbolisée par l’année 1968.

Sans vouloir conclure sur ces questions, on sait à posteriori que dans les conditions mondiales des années 1980, la contre-révolution bureaucratique a été le prélude de la contre-révolution bourgeoise. Ce n’était pas nécessairement le cas. Dans d’autres rapports de forces mondiaux, elle aurait pu céder face à un renouveau des luttes socialistes ou, peut-être, donner naissance à une figure historique encore impensée (encore impensée parce que les théories du « capitalisme d’Etat » ou du mode de production bureaucratique appliquées à l’URSS ou à la Chine ne paraissent pas très convaincantes tant elles ignorent les spécificités des sociétés de transition).

VII. Hier, aujourd’hui, demain…

Dans les années 1980, la contre-révolution a donc pris a forme d’un passage contrôlé à un capitalisme mi-étatique, mi-privé. Cette transition capitaliste, qui s’achève dès la fin des années 1990, est facilité en Chine par une alliance assez particulière entre la bureaucratie (ou des secteurs de la bureaucratie) et le puissant capital chinois transnational établis hors de la République populaire à Hongkong et Taiwan – et dans de nombreux endroits pays du monde. Le PCC favorise les investissements des expatriés et accueille en son sein de grands capitalistes. Réciproquement, ce parti apparaît aux yeux du capital chinois transnational, qui n’a plus de racines dans le continent, comme seul à même, durant la transition capitaliste, de maintenir l’ordre social et de garantir l’unité du pays (toujours menacé de morcellement). Voilà qui facilite un processus progressif au cours duquel une partie de la bureaucratie se transforme en bourgeoisie, privatisant le bien public tout d’abord illégalement, puis légalisant ultérieurement le vol en modifiant les lois.

Mais pour l’emporter, la contre-révolution bourgeoisie a dû défaire tout ce à quoi la révolution avait donné naissance. Un bouleversement social à rebours s’est amorcé, aussi radical que celui qui avait succédé à la révolution de 1949. Le secteur économique d’Etat a été en partie démantelé, privatisé, et de plus en plus géré selon les critères de l’entreprise capitaliste moderne. Une nouvelle classe d’entrepreneurs est née, formée de bureaucrates convertis à l’enrichissement personnel et alliés au capital chinois transnational… L’ancienne classe ouvrière au statut protégé a été méthodiquement désintégrée pour laisser place d’une part à une couche de techniciens et ouvriers qualifiés et d’autre part à un jeune prolétariat instable issu de l’exode rural, souvent privés de droits. Après avoir temporairement bénéficié de la décollectivisation initiée au début des années 1980, la paysannerie chinoise se voit menacée des même processus de dépossession que celles des autres pays du « tiers monde ». Les inégalités sociales explosent. Les pauvres sont à nouveau ignorés ; les riches sont à l’honneur.

Au fond, PCC ne veut plus dire Parti communiste chinois, mais Parti capitaliste chinois ! Il représente – non sans contradictions – les aspirations des nouvelles élites.

Le siècle passé, l’envol de la bourgeoisie avait été étouffé par la dictature du Guomindang, avant d’être brisé par la révolution. Mais, ironie de l’histoire, le capitalisme chinois tire aujourd’hui les bénéfices de la radicalité de la révolution de 1949 et du « communisme national » chinois. Sans elle, le pays serait passé dans la dépendance politique et économique exclusive du Japon ou, plus probablement, serait tombée sous la coupe de l’impérialisme US. Sans elle aussi, comme dans beaucoup de pays du « tiers monde », le capital aurait eu bien du mal à se libérer des entraves des rapports sociaux traditionnels dans le monde rural et du poids de la gentry. Le capitalisme chinois a ainsi reçu une seconde chance.

Mais le souvenir de la révolution pourrait demain servir de ferment politique aux résistances sociales contre la montée des inégalités et de la précarité.

Pierre ROUSSET

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