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Michel WARSHAWSKY -Thèses sur le sionisme

samedi 5 juin 2010, par Secrétariat jeune


Thèses extraites de l’étude "Origine et dynamique du sionisme" par Michel Warshawsky et Georges Taut, revue Quatrième Internationale, 1982. L’intégralité de cette étude a été publié dans un Cahiers de formation marxiste de la LCR (voir la rubrique E-Shop ) 1. L’idéologie sioniste est la tentative de résoudre la question juive par l’immigration en Palestine et la constitution d’une société juive qui permettrait la normalisation sociale des Juifs.

2. Le sionisme était l’idéologie et le mouvement d’une petite minorité de la jeunesse juive petite-bourgeoise d’Europe de l’Est, confrontée à une exacerbation de l’anti-sémitisme dans l’empire tsariste en crise, à la fin du 19e siècle. Dans leur grande majorité, les Juifs se sont opposés au sionisme ou y ont été indifférents jusqu’à la montée de Hitler au pouvoir en Allemagne. La bourgeoisie juive d’Europe occidentale et centrale rejetait le sionisme et choisissait de s’assimiler dans la société capitaliste et la classe bourgeoisie. La classe ouvrière juive d’Europe de l’Est concevait l’émancipation des Juifs dans le cadre de l’émancipation de la classe ouvrière et participait activement à ses organisations et ses luttes de classe. L’essentiel de la petite bourgeoisie rejetait, pour des raisons sociales ou religieuses, la solution sioniste. La marginalité du sionisme apparaît clairement si l’on considère que sur les deux millions de Juifs qui émigrèrent de l’empire tsariste entre 1882 et 1914, afin de fuir l’antisémitisme et la misère, seuls quelques milliers choisirent de rejoindre la Palestine.

3. La colonisation de la Palestine et la création d’une société et d’un état juifs indépendants impliquaient nécessairement : a) l’expulsion de la population arabe indigène ; b) une alliance permanente avec l’impérialisme qui seul était capable de donner au mouvement sioniste le soutien politique, financier et militaire nécessaire à la réalisation de ses objectifs ; c) la création d’une société européenne, étrangère au monde arabe qui l’entourait et en conflit permanent avec lui. Ce caractère « occidental » de l’état juif est à la source du conflit inéluctable entre l’état juif et sa population d’origine orientale.

4. Le sionisme est un colonialisme de type unique et particulier. Si, comme tous les autres colonialismes, il a spolié la population indigène de son pouvoir politique et économique, ce ne fut pas pour l’exploiter dans son propre intérêt, mais pour l’expulser de sa terre et de sa patrie, afin de bâtir, sur les ruines de la société palestinienne antérieure une société juive, de haut en bas. Le sionisme s’est bâti politiquement et économiquement, à côté de la société arabe indigène, réduisant petit à petit les dimensions de la Palestine arabe, grâce à sa supériorité technologique et militaire et au soutien de l’impérialisme.

5. En 1914, il y avait en Palestine 85.000 Juifs, dont environ 30.000 Juifs orientaux, vivant en Palestine depuis de nombreuses générations, et environ 15.000 Juifs orthodoxes d’origine occidentale, venus en Terre Sainte pour des raisons religieuses n’ayant rien à voir avec le sionisme. Jusqu’en 1933, la communauté juive en Palestine va augmenter jusqu’à 175.000, ce qui, comparé à une société palestinienne de plus d’un million de personnes, restait largement insuffisant pour constituer un état juif. Avec la prise du pouvoir par les Nazis en Allemagne, la situation de la colonie juive en Palestine va changer qualitativement. De 1933 à 1940, 235.000 Juifs vont rejoindre la Palestine, emmenant avec eux un capital non négligeable, des connaissances technologiques avancées et un niveau culturel que ne connaissait pas la colonie juive avant 1933. C’est la crise du capitalisme en décomposition et l’incapacité des directions traîtres du mouvement ouvrier à trouver une issue révolutionnaire à cette crise qui donneront au mouvement sioniste les moyens humains et matériels nécessaires à la création de l’état juif.

6. Le refus des puissances impérialistes d’offrir une nouvelle patrie aux 250.000 rescapés de l’holocauste nazi, et l’incapacité du régime stalinien à proposer une alternative crédible et libératrice à ces centaines de milliers de Juifs déracinés, vont pousser ces derniers à trouver refuge en Palestine, et donner au mouvement sioniste un soutien international qui va permettre à Ben Gurion de proclamer, le 14 Mai 1948, la création de l’état juif en Palestine. Cette « solution » à la tragédie des rescapés du judaïsme d’Europe orientale et centrale va engendrer une tragédie non moins réelle : l’expulsion de plus d’un million d’Arabes Palestiniens de leur patrie, la destruction de leurs villages et la création d’un peuple de réfugiés aspirant à récupérer sa patrie volée.

7. La création de L’Etat d’Israël va provoquer un bouleversement dans les relations entre les Juifs du monde et la question juive d’une part, et l’état d’Israël et le sionisme de l’autre. Si jusqu’en 1948, le sionisme œuvre à la création d’un état juif afin de « résoudre » la question juive et d’offrir un refuge aux Juifs persécutés par l’anti-sémitisme, à partir de 1948, les Juifs vont être appelés par le mouvement sioniste à se mettre au service de l’état juif et à le renforcer politiquement et financièrement. Au lieu d’immigrer en Israël pour se sauver de l’antisémitisme, les Juifs sont appelés à immigrer en Israël pour sauver l’état juif. C’est ce qui explique l’attitude pour le moins ambiguë des dirigeants sionistes face à l’antisémitisme qu’ils considèrent comme un moindre mal, comparé au « danger » d’assimilation.

8. De 1948 à 1967, le sionisme va connaître une période ascendante de renforcement numérique (de 650.000 Juifs à près de 2,5 millions), économique et militaire. La guerre de Juin ’67 consacrera l’état d’Israël comme puissance militaire absolue dans l’Orient Arabe et comme un atout irremplaçable de l’impérialisme américain dans sa lutte contre le mouvement de libération des masses arabes. L’occupation des territoires palestiniens restés hors de la souveraineté sioniste après 1948 va permettre de parachever la mainmise sur l’ensemble de la Palestine historique, et une conjoncture économique exceptionnelle va enclencher un réel développement industriel et une prospérité pour l’ensemble des couches de la société israélienne.

9. Mais l’apogée de l’état juif sera aussi le début de son déclin. L’apparition sur la scène politique régionale et internationale du mouvement national palestinien, un changement progressif du rapport de forces à l’avantage des états arabes, et l’influence destructrice de l’occupation sur la société israélienne vont ouvrir une crise sociale globale, dont la guerre d’Octobre 1973 ne sera que le signe annonciateur. La crise économique grave, l’isolement international, l’incapacité de résoudre- militairement ou politiquement - la question palestinienne, la grave crise de direction et de perspectives - sont les différentes facettes de la crise du sionisme que rien ne semble pouvoir entraver. Même la victoire diplomatique réelle que représente le traité de paix signé avec le plus grand état arabe et la légitimité qu’il donne au colonialisme sioniste, n’ont pas été capables de donner un second souffle à l’état juif, et d’empêcher le désarroi la démoralisation, l’émigration (plus d’un demi-million de Juifs au cours des 10 dernières années) qui touchent de plus en plus profondément les masses juives d’Israël.

10. La colonisation sioniste a engendré une classe ouvrière juive-israélienne qui, tant que le sionisme pouvait lui garantir la sécurité et un progrès permanent de niveau de vie, était prête à se battre et à faire des sacrifices pour maintenir l’état juif face au monde arabe hostile. Mais plus la crise du sionisme s’exacerbe plus il devient évident que le prix que les travailleurs juifs ont à payer en termes de vies humaines, de niveau de vie, de qualité de vie, devient exorbitant ; et tout semble montrer que l’avenir sera pire encore. C’est parce que le sionisme, loin d’avoir créé un refuge pour les Juifs persécutés, apparaît de plus en plus comme un piège meurtrier pour ceux qu’il était censé sauver, que l’on peut affirmer qu’il existe une base objective à la rupture de l’union sacrée en Israël et à la collaboration entre les ouvriers juifs-israéliens et le mouvement national palestinien dans la lutte contre le sionisme. Les Palestiniens ont à y gagner une nouvelle patrie, les Juifs la paix et la sécurité.